Le mot fjord évoque pour beaucoup la Scandinavie, des glaces millénaires et des étendues d’eau calme entourées de montagnes. Mais qu’est-ce qu’un fjord exactement ? Dans quelles parties du monde peut-on trouver des fjords ? Comment se sont-ils formés et de quand date leur apparition ? Pour mieux comprendre ce qui distingue le fjord d’un autre bras de mer, partons à la découverte de ses étonnantes caractéristiques.
Qu’est-ce qu’un fjord ?
L’empreinte d’un ancien glacier disparu
Pour commencer, il convient de définir ce qu’est un fjord d’un point de vue géologique. La formation d’un fjord résulte des deux phénomènes suivants :
- une vallée est creusée au cours d’une période glaciaire par la pression d’un glacier qui s’étend depuis le sommet de la montagne jusqu’à atteindre la mer ;
- l’eau de la mer envahit cette vallée à mesure que le glacier fond et se rétracte progressivement vers le sommet de la montagne.
On observe alors un bras de mer plus ou moins ramifié, qui peut être constitué de plusieurs bassins. L’eau peut s’avancer dans les terres sur plusieurs dizaines de kilomètres, entre des roches très escarpées qui portent les traces de l’abrasion par l’ancien glacier.
Les origines scandinaves du nom « fjord »
L’appellation « fjord » est reprise dans la plupart des langues du monde, dans lesquelles elle ne semble pas avoir trouvé d’équivalent. Ce mot est un emprunt à la langue norvégienne : en effet, la grande majorité des fjords de la planète se concentrent sur la côte occidentale de la Norvège.
Le nom « fjord » est difficilement traduisible dans la mesure où il définit précisément cette formation géologique particulière. Il vient à l’origine du vieux norrois, l’ancienne langue médiévale de la Scandinavie, et signifiait alors à la fois « la traversée » et « l’estuaire ». Un fjord est en effet un estuaire selon la terminologie océanographique, c’est-à-dire une masse d’eau semi-fermée dans laquelle l’eau de mer se mélange à de l’eau douce.
Dans quelles parties du monde peut-on trouver des fjords ?
La répartition des fjords dans le monde
La grande majorité des fjords se situent dans l’hémisphère Nord, cependant on en trouve certains sous les basses latitudes.
Les concentrations de fjords les plus importantes se situent aujourd’hui dans les régions suivantes :
- côte ouest de l’Europe : îles Féroé, Islande, Écosse, Norvège, Groenland, péninsule de Kola en Russie ;
- côte ouest de la Nouvelle-Zélande ;
- côte nord-ouest de l’Amérique du Nord : États-Unis, Alaska, Canada, Québec ;
- côte sud-ouest de l’Amérique du Sud : Chili, Argentine.
Les principaux fjords de l’hémisphère Nord
Le plus grand fjord du monde est le Scoresby Sund au Groenland. Il a une longueur de 300 km, une profondeur maximale de 1600 m et une largeur maximale de 50 km. On trouve également au Groenland le fjord glacé d’Ilulissat, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco en 2004 pour son exceptionnelle concentration d’icebergs.
Le pays qui compte le plus de fjords au monde est la Norvège, avec plus de 1000 fjords répertoriés. Le deuxième plus grand fjord du monde, le Sognefjord, se trouve sur la côte ouest du pays, avec une longueur de 204 km et une profondeur maximale de 1308 m.
Le Québec abrite l’un des seuls fjords intracontinentaux du monde : le fjord du Saguenay. Alors que la grande majorité des fjords débouchent sur l’océan, le fjord du Saguenay débouche sur l’estuaire du fleuve Saint-Laurent, à l’intérieur du pays.
Les principaux fjords de l’hémisphère Sud
Le fjord le plus profond du monde se situe en Antarctique, sur la Terre Victoria : c’est le Skelton Inlet, qui atteint une profondeur maximale de 1933 m.
La Nouvelle-Zélande présente deux fjords remarquables sur l’île du Sud : le Milford Sound et le Doubtful Sound, qui s’avancent sur une quinzaine de kilomètres au milieu des très escarpées Alpes néo-zélandaises.
La Patagonie chilienne compte de très nombreux fjords sur ses 2000 km de côte bordant l’océan Pacifique. Le fjord des Montagnes, notamment, s’étend sur 66 km entre la cordillère Sarmiento à l’ouest et la cordillère Riesto à l’est.
Pour comprendre comment des fjords ont pu se former dans des zones tempérées comme la Nouvelle-Zélande ou le Chili, il faut considérer l’étendue des calottes glaciaires au cours de la dernière glaciation.
Comment les fjords se sont-ils formés ?
Un long travail de sculpture au cours de l’ère glaciaire
Les paysages de montagnes que nous connaissons aujourd’hui ont été sculptés par le lent déplacement des glaciers au cours du Pléistocène. Le Pléistocène est la première époque du Quaternaire, qui a commencé il y a 2,6 millions d’années. Il s’est achevé avec la dernière glaciation, qui a débuté il y a 115 000 ans et s’est achevée il y environ 11 700 ans.
La période la plus froide de la dernière glaciation a eu lieu il y a environ 20 000 ans : c’est ce que l’on appelle le dernier maximum glaciaire. Les glaciers s’étendaient alors sur les terres et fusionnaient jusqu’à former parfois de vastes étendues de glace, appelés inlandsis.
Au moment du dernier maximum glaciaire, la calotte glaciaire recouvrait environ 25 % de la superficie des terres :
- dans l’hémisphère Nord, une partie de l’Amérique du Nord était recouverte de glace et l’inlandsis scandinave s’étendait jusqu’à la Grande-Bretagne ;
- dans l’hémisphère Sud, la cordillère des Andes était recouverte par le glacier de Patagonie et la Nouvelle-Zélande et la Tasmanie comptaient de nombreux glaciers.
Des cycles de périodes glaciaires et interglaciaires se sont succédé tout au long du Pléistocène. C’est sous l’effet de ces changements de température que les glaciers ont abrasé les sols et les parois qui les enserraient en se déplaçant.
La mer gagne du terrain
La déglaciation qui a suivi le dernier maximum glaciaire a commencé il y a environ 18 000 ans et s’est étendue sur environ 8 000 ans. Elle a eu deux principaux effets : la fonte des glaciers et, par conséquent, la hausse du niveau de la mer.
En fondant, les glaciers se sont éloignés de la mer en se rétractant vers les sommets plus froids. Ils ont libéré les vallées qu’ils avaient creusées en auge (vallée à fond plat et large) et qui s’incurvaient souvent bien en dessous du niveau actuel de la mer. Ainsi, les eaux maritimes ont pu pénétrer à l’intérieur des terres et remplir progressivement les profonds bassins délaissés par la glace.
En se retirant, les glaciers ont progressivement déposé sur les sols des amas irréguliers de sable et de gravier jusqu’alors emprisonnés dans la glace. Ces dépôts ont formé des barrières sous-marines, appelées seuils. Ce sont ces seuils qui délimitent les différents bassins qui constituent le fjord, ceux-ci pouvant être de profondeurs différentes.
Un fjord est une ancienne vallée glaciaire qui a été inondée lors de l’élevation du niveau marin à la fin de l’ère glaciaire, il y a environ 10 000 ans.
La glace l’emporte sur la tectonique
C’est au 19ème siècle que le minéralogiste dano-norvégien Jens Esmark (1763 – 1839) formule pour la première fois la théorie selon laquelle les fjords résulteraient de la fonte des glaces qui recouvraient l’Europe du Nord pendant la Préhistoire.
Le géologue britannique John Walter Gregory (1864 – 1932) le contredira quelques années plus tard en soutenant que les fjords sont principalement d’origine tectonique, mais ses hypothèses seront rapidement invalidées.
Aujourd’hui, on considère que l’origine glaciaire de la formation des fjords est attestée par deux principales observations :
- les bassins des fjords sont plus profonds que le niveau de la mer, ce qui démontre l’érosion antérieure des sols par la glace ;
- l’embouchure des fjords présente des seuils sous-marins constitués de dépôts glaciaires, qui attestent de la fonte d’un glacier.
Quelles sont les principales caractéristiques d’un fjord ?
Morphologie d’un fjord
L’ouverture du fjord sur la mer est appelée bouche ou embouchure. Elle peut être marquée par une plus faible profondeur d’eau que le reste du fjord. Ce seuil sous-marin indique la position de l’ancien front glaciaire : c’est la limite basse de l’ancien glacier, là où la glace était la moins épaisse. Plus on s’éloigne du sommet de la montagne, plus l’épaisseur d’un glacier s’amoindrit : l’embouchure marque donc l’endroit où l’érosion glaciaire est la plus faible.
La profondeur maximale du fjord est atteinte en amont de ce seuil, là où l’érosion glaciaire est la plus importante. On appelle cette partie du fjord le fond marin, qui est donc le plus souvent situé en-dessous du niveau de la mer.
Eau douce et eau salée
Une des principales particularités du fjord est qu’il fait cohabiter eau douce et eau salée : l’eau salée venant de la mer est diluée par les cours d’eau douce qui viennent régulièrement se déverser dans le fjord.
Ces cours d’eau douce sont alimentés par l’eau de pluie s’écoulant des bassins hydrologiques et par la fonte des neiges de montagne et de la glace en été. Cette eau de fonte glaciaire transporte avec elle de nombreux sédiments en suspension, qui donne à l’eau du fjord son apparence laiteuse.
La salinité et la température de l’eau douce et de l’eau salée étant très différentes, elles se mélangent peu : l’eau douce, moins dense, vient couvrir l’eau salée et reste à la surface.
Le phénomène de circulation d’estuaire
La circulation de l’eau douce et de l’eau salée dans le fjord produit un phénomène dont l’impact est déterminant sur l’écosystème sous-marin : la circulation d’estuaire.
La couche supérieure d’eau douce qui s’écoule de la montagne vers la mer entraîne avec elle une partie de l’eau salée de la couche inférieure. Cette perte en eau salée s’équilibre avec l’eau de mer qui pénètre continuellement dans le fjord. Ce phénomène permet de ventiler ou de renouveler les eaux du bassin.
Cependant, si le seuil à l’embouchure du fjord est très peu profond, la ventilation des eaux peut être entravée : l’eau stagne et s’appauvrit en oxygène, ce qui empêche la faune sous-marine de se développer.
Dans certains fjords, cette stagnation peut durer plusieurs années, tandis que dans d’autres, l’afflux d’eau salée se produit de façon saisonnière.
Les fjords de l’ouest de la Norvège : qu’ont-ils de si particulier ?
Les fjords emblématiques de l’ouest norvégien
Le littoral norvégien compte plus d’un millier de fjords. Les plus importants se situent sur la côte ouest du pays, littéralement dentelée de fjords sur toute sa longueur.
Parmi les plus emblématiques, le Geirangerfjord et le Nærøyfjord, sont situés à 120 km de distance et s’étendent de Stavanger au sud jusqu’à Åndalsnes à 500 km au nord-est. L’Unesco les a inscrits sur la liste du patrimoine mondial en 2005 avec le commentaire suivant : « les deux fjords, qui sont parmi les plus longs et les plus profonds du monde, sont considérés comme caractéristiques de la géographie des fjords et comme l’un des paysages les plus spectaculaires de la planète ».
Le plus long et le plus profond fjord de Norvège est le Sognefjord, qui est aussi le deuxième plus grand fjord du monde. Sa partie inférieure est recouverte par le plus grand glacier d’Europe continentale, le Jostedalsbreen, d’une superficie de 486 km².
Des conditions climatiques exceptionnelles pour l’écosystème marin
La côte ouest de la Norvège bénéficie des courants atmosphériques et marins provoqués par la force de Coriolis, ainsi que du Gulf Stream qui apporte les eaux chaudes du Golfe du Mexique avant de se diluer dans les eaux glacées de l’Antarctique.
Ces conditions particulières permettent à un écosystème marin d’une grande diversité de se développer. Les eaux sont habitées par de nombreux mammifères marins tels que les phoques, les orques, les castors et les loutres. Elles regorgent également d’une grande variété d’espèces de poissons, dont la pêche et le commerce constituent une part fondamentale de l’économie du pays. Certaines espèces sont endémiques, d’autres proviennent de migrations, comme le skrei, un cabillaud originaire de la mer de Barents qui afflue chaque hiver pour se reproduire dans les eaux du Vestfjord.
Quelques fjords norvégiens abritent également des récifs coralliens d’eau profonde. Le Lophelia pertusia, une espèce de corail d’eau froide très répandue le long de la côte norvégienne, peut notamment être observé dans le fjord de Trondheim.
La faune sauvage préservée des fjords de l’ouest norvégien
Les fjords de l’ouest norvégien bénéficient d’un climat relativement doux et sont le plus souvent libres de glace. Sur leurs reliefs, on observe encore de nombreux mammifères vivants dans les forêts de conifères comme les rennes, les élans ou les bœufs musqués. L’ours, le loup ou le lynx boréal, qui ont été chassés pendant des centaines d’années, tendent à se raréfier et sont repoussés vers le Grand Nord.
De grands oiseaux marins, des rapaces et de petites espèces forestières trouvent également refuge dans cet environnement protégé. Beaucoup d’oiseaux insectivores migrent au printemps depuis les tropiques vers les fjords norvégiens pour y trouver leur nourriture. Les îles Lofoten, situées entre le Vestfjord et la mer de Norvège au nord du cercle polaire, constituent la plus grande réserve d’oiseaux du pays. On peut y observer notamment le Guillemot, le macareux, le fou de Bassan, l’Aigle royal, le Faucon pèlerin ou encore le Faucon gerfaut.
Cet écosystème précieux et fragile est menacé par le changement climatique, mais aussi par l’activité humaine qui se développe autour de la construction de barrages hydroélectriques et de l’exploitation de carrières.