Impérial du haut de ses 3470 mètres d’altitude, le volcan Nyiragongo surplombe la ville de Goma, à l’extrême ouest de la République Démocratique du Congo. Ce stratovolcan tire sa renommée du lac de lave qui stagne en permanence au sein de son large cratère. Rares sont ces lacs de lave sur notre planète. Ses deux seuls homologues sont l’Erta Ale en Éthiopie, et l’Erebus en Antarctique. Le Nyiragongo abrite le plus grand lac de lave du monde. Aussi menaçant qu’époustouflant, il exerce ainsi depuis la fin du XIXème siècle un mélange de fascination et d’inquiétude, même chez les volcanologues les plus avertis.
Les origines du plus grand lac de lave sur Terre
Le Rift est-africain
Avec le temps, la croûte continentale de l’Afrique s’est amincie. Une partie de la Corne de l’Afrique s’est par ailleurs étirée encore plus à l’est. Cet étirement a provoqué une déchirure terrestre prenant naissance en République de Djibouti. Celle-ci se sépare en deux branches dans le nord du Kenya, et poursuit sa trajectoire de part et d’autre du lac Victoria. Les faisceaux de failles se rejoignent ensuite dans le sud de la Tanzanie. Cette fracturation, appelée le Rift est-africain, est due aux mouvements perpétuels de la tectonique des plaques. Ce phénomène est toujours en cours, puisque la plaque somalienne et la plaque africaine s’écartent encore l’une de l’autre d’environ une dizaine de centimètres tous les dix ans.
L’ouverture du Rift est-africain a pour effet de créer des réseaux de fractures en profondeur, laissant ainsi remonter le magma. Il en résulte la formation de nombreux volcans dans la vallée du Grand Rift. Le Nyiragongo fait partie de cette chaîne volcanique, tout comme le célèbre Mont Kilimandjaro, plus à l’est. La Nyiragongo en est l’un des plus spectaculaires et des plus actifs. Il se situe plus précisément sur la chaîne volcanique des Virunga.
Un magma spécifique à l’origine du lac de lave
Il convient tout d’abord de différencier le magma de la lave. Le magma se situe dans les profondeurs de la Terre. Il se compose de liquide, de solide, et de gaz dissous en profondeur. Il se forme à environ 100 à 150 km sous nos pieds, au contact entre les roches de la croûte terrestre et des zones anormalement chaudes du manteau terrestre qui remontent des profondeurs de la terre : les panaches mantelliques. À ce point de rencontre, une partie des roches fondent, remontent et se fraient un passage dans la croûte terrestre en s’accumulant dans des chambres magmatiques. Le magma, lorsqu’il apparaît à la surface et perd la majorité de ses gaz, se transforme en une substance plus ou moins fluide de roche en fusion. C’est ce que l’on appelle la lave.
Or, à cet endroit de la Terre, la combinaison entre le panache mantellique et les nouvelles failles générées par le rift ont abouti à des mélanges magmatiques particuliers, selon Christopher Jackson, géologue à l’Université de Manchester. La majorité du magma terrestre possède une forte concentration en silice. La présence de ce minéral a pour conséquence de donner une composition épaisse et visqueuse au magma. La concentration magmatique en silice du Nyiragongo est en cela particulière qu’elle n’en contient que très peu. Sa lave, qui est donc très fluide, a donné naissance au célèbre lac de lave du Nyiragongo.
L’activité volcanique contemporaine du Nyiragongo
Des éruptions dévastatrices aux XXème et au XXIème siècles
Entre 1927 et 1977 : la formation du lac de lave
En 1884, la première éruption du Nyiragongo a été observée par des occidentaux. À cette époque, il s’agissait encore d’éruptions explosives.
À partir de 1927, le type d’éruption du volcan a changé, et des coulées de lave très fluide ont peu à peu formé le lac du Nyiragongo. Ces coulées successives ont duré une cinquantaine d’années, et alimenté jusqu’en 1977 le plus grand lac de lave du monde.
1977 : le déversement soudain du lac de lave
Brusquement, le 10 janvier 1977, une fissure sur le flanc du volcan a donné lieu à la vidange complète du lac du Nyiragongo. Ce dernier a laissé s’écouler 22 millions de mètres cubes de lave. Certaines coulées ont dévalé les flancs du volcan à 40km/h, envahissant les villages environnants. La vitesse de la lave s’explique par sa forte fluidité, et par les pentes abruptes du volcan. Cette coulée de lave a provoqué entre 600 et 2000 décès, ainsi que de nombreux dégâts matériels. Elle a laissé derrière elle un cratère vide de 900 mètres de profondeur.
2002 : une nouvelle éruption meurtrière
Entre juin 1982 et mars 1996, le lac de lave s’est une nouvelle fois formé dans le cratère du volcan Nyiragongo. Une autre éruption a frappé le 17 janvier 2002 la ville de Goma et les villages proches du volcan. Cette fois-ci, la coulée a été provoquée par une fissure apparue sur le flanc sud du Nyiragongo. La lave a détruit plusieurs villages avant d’envahir partiellement la ville de Goma, située au pied de l’édifice volcanique. Elle s’est ensuite figée, pour terminer sa course, dans le lac Kivu. Sur son passage la lave a détruit 1/5ème de Goma, a provoqué environ 250 décès, et a laissé 120 000 habitants à la rue. Des cas de brûlures et d’asphyxies au dioxyde de carbone ont été rapportés, ainsi que des explosions de stations essence, anéantissant une ville déjà fragilisée par un contexte économique et géopolitique difficile.
2021 : nouvelle phase éruptive du volcan Nyiragongo
Cinq mois après l’éruption de janvier 2002, le processus de remplissage du lac était déjà en action. En effet, un nouveau lac de lave avait pris place dès le 17 mai 2002.
En 2020, des volcanologues missionnés par les Casques bleus des Nations Unies ont remarqué que le lac de lave se remplissait plus vite qu’à l’accoutumée.
En mai 2021, une coulée de lave inattendue s’est arrêtée aux portes de la ville de Goma, dont la population avait quasiment atteint les 2 millions d’habitants. Cette éruption volcanique a toutefois eu des impacts dans des villages limitrophes, causant d’importants dégâts et de nouveaux décès.
« C’est l’un des volcans les plus dangereux d’Afrique », Benoît Smets, volcanologue au musée royal de l’Afrique centrale en Belgique, expert des risques géologiques.
Des hypothèses sur les causes des éruptions
Certains scientifiques soutiennent la théorie selon laquelle il existe une relation entre la hauteur du lac de lave et la pression exercée sur les parois de l’édifice volcanique. Les différentes éruptions du Nyiragongo ont en effet eu lieu au moment où le magma accumulé en profondeur a atteint un volume suffisant pour générer une certaine pression sur les parois. Cette dernière crée des fissures sur le volcan, laissant la lave s’écouler du lac. Passé un certain volume critique, ce dernier se vidangerait. Toutefois, chaque épisode éruptif possède ses propres spécificités. Il est donc complexe de repérer et de prédire les signes d’une éruption imminente.
Le Nyiragongo : le volcan le plus dangereux d’Afrique
La complexité géographique de la région
La ville de Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu, s’est établie juste au pied du Nyiragongo. Goma est une ville densément peuplée. Avec les villages alentours, la population menacée par les débordements du lac du Nyiragongo s’élève à près de six millions d’habitants. L’Observatoire Volcanologique de Goma (OVG), créé en 1986, assure la surveillance du Nyiragongo. Mais cet institut congolais fait face à de nombreuses difficultés, causées entre autres par les instabilités politiques de la région et par les conflits armés. Sa fiabilité et son efficacité en matière de gestion du risque volcanique dans la région en sont donc affectées.
Des dégazages volcaniques en surface
Nyiragongo signifie « celui qui fume » en français. Ce dernier laisse en effet s’échapper de son cratère une grande quantité de gaz à haute température. Son magma est particulièrement riche en dioxyde de carbone. Ce gaz, inodore et incolore, s’échappe en permanence et en toute discrétion à la surface du volcan. Il s’accumule dans les régions qui se trouvent en basse altitude, sans que les habitants ne s’en rendent compte. Les locaux ont baptisé ces émissions de gaz le makuzu, dont la traduction en français pourrait être « le souffle du diable ». Ces rejets de gaz provoquent de graves problèmes de santé chez les habitants des régions périphériques au volcan. Ils sont responsables de la mort de nombreuses personnes chaque année.
Le lac Kivu : le risque d’une éruption limnique
Le lac Kivu, qui borde la ville de Goma et dont la superficie atteint les 2700 km², fait partie des Grands Lacs d’Afrique. Ce lac établit une frontière naturelle entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda. Malgré sa beauté, qui en fait une merveille touristique, le lac Kivu représente un réel danger pour les populations locales.
En effet, les couches d’eau profondes du Kivu sont enrichies en gaz carbonique et en méthane. Ces gaz sont maintenus en solution dans les profondeurs du lac grâce à leur solubilité dans l’eau et à la pression qu’exercent les colonnes d’eau supérieures.
Mais ces « boucliers » sont fragiles. Un écoulement de lave atteignant les hauts-fonds du Kivu aurait des conséquences dramatiques. Il provoquerait une augmentation de la température des eaux profondes, laissant ainsi s’échapper le dioxyde de carbone et le méthane à la surface du lac. Les nappes de gaz ainsi libérées seraient fatales pour les populations vivant à proximité. On appelle ce phénomène redouté une éruption limnique. Les scientifiques craignent qu’un tel scénario se produise dans la région de Goma. Les conséquences seraient plus mortelles encore pour les locaux qu’une nouvelle éruption effusive du Nyiragongo. Une telle éruption limnique a déjà fait rage au Cameroun, aux abords du lac Nyos, en 1986. Cette catastrophe a provoqué la mort de près de 1800 personnes, et décimé le bétail vivant dans les environs.
Le Nyiragongo fait donc partie de ces chefs-d’œuvre de la nature, dont la beauté rivalise avec les dangers qu’encourent les populations locales. Le Nyiragongo est sans nul doute un volcan dévastateur. Sa lave particulièrement fluide, la complexité géographique de son emplacement, et le gaz létal qu’il relâche dans l’air en continu en font un volcan meurtrier. C’est là que réside toute l’ambivalence du Nyiragongo : celui qui apparaît comme l’un des plus beaux spectacles de l’activité volcanique terrestre pour certains est synonyme de mort et de dévastation pour d’autres.