Sa localisation : nord-est de l’Arizona. Son âge : environ 225 millions d’années. Son signe distinctif : abrite des milliers de troncs d’arbres fossilisés aux couleurs arc-en-ciel, sur fond de paysages désertiques. Bienvenue à Petrified Forest National Park. Classé sur la liste indicative du Patrimoine mondial de l’UNESCO, ce site géologique et paléontologique est un précieux témoin de la formation d’une forêt pétrifiée et des évolutions climatiques. Les scientifiques ont déjà identifié plus de 80 espèces fossiles de plantes et animaux. Moins connus : les vestiges des cultures amérindiennes, dont il reste encore des facettes à découvrir…
De la vie à la pierre : la formation d’une forêt pétrifiée
La pétrification est une forme commune de fossilisation. La matière organique de l’arbre d’origine se transforme intégralement en pierre par un processus de perminéralisation.
La pétrification : une alchimie entre le temps et les minéraux
Le phénomène de pétrification se déroule sur une période de quelques millions à plusieurs dizaines de millions d’années :
- La première phase est l’enfouissement rapide d’un organisme mort sous des sédiments. De l’eau riche en minéraux dissous, comme la silice, le carbonate de calcium ou le sulfure de fer, s’infiltre dans les espaces poreux et imprègne ses tissus.
- Peu à peu, ces minéraux comblent les cavités laissées par la matière organique en décomposition. Puis ils cristallisent sous forme de quartz, opale ou calcédoine. Il en résulte une structure rocheuse qui conserve l’apparence originelle du matériau enfoui.
- Les changements géologiques, ou encore l’érosion favorisée par des climats arides, finissent par exposer le fossile à l’air libre.
Dans le cas de troncs d’arbre, on est en mesure de distinguer leurs nœuds et cercles concentriques permettant de connaître leur âge initial. Les couleurs diffèrent en fonction des minéraux déposés, de leur abondance, leur oxydation, etc. Un brun rougeâtre est typique du fer, tandis que le dioxyde de manganèse peut produire des nuances de bleu et de violet.
Pourquoi certaines régions favorisent-elles la formation d’une forêt pétrifiée ?
- Un environnement pauvre en oxygène, comme un milieu marin ou lacustre, ralentit la décomposition du bois. La minéralisation peut ainsi opérer progressivement.
- Une activité tectonique et volcanique intense accentue également le phénomène. La raison : les cendres ont une forte teneur en silice.
Le parc national de Petrified Forest en Arizona : un trésor géologique et historique
Situé sur le plateau du Colorado, le parc national de Petrified Forest occupe une superficie de 380 km2. Le climat est semi-aride, sec et venteux. Des géomètres et cartographes ont mis en lumière les lieux à partir du milieu du 19e siècle. Puis des éleveurs, fermiers et touristes ont commencé à dépouiller le site pour vendre des morceaux de bois pétrifié. Les autorités publiques l’ont finalement érigé en monument national en 1906 afin d’assurer sa sauvegarde.
Un désert haut en couleur
La région trouve principalement son origine dans la formation de Chinle, un dépôt sédimentaire datant du Trias supérieur, il y a environ 200 millions d’années. Cette formation est célèbre pour ses couches colorées riches en minéraux qui ont permis la fossilisation du bois. Le paysage est dominé par des structures géologiques particulières : les mesas des « badlands », c’est-à-dire des plateaux aux sommets plats, et les buttes sculptées de « Painted Desert » font le bonheur des photographes, mais surtout des géologues.
Les strates multicolores des roches sédimentaires donnent des indications précieuses sur le passé et l’évolution du paysage de la région :
- Les couches rouges, pourpres et roses, sont constituées principalement d’argiles riches en fer, qui, une fois oxydées, produisent de vibrantes couleurs.
- Les accumulations de sable ou de grès sont souvent beiges ou jaunes. Elles se sont formées à partir de dunes et de dépôts fluviaux. Ces formations révèlent que le site était autrefois parcouru par des rivières sinueuses, et parsemées de plaines inondables.
Saut dans le Trias supérieur
Il y a 225 millions d’années, le paysage de Petrified Forest avait un tout autre visage. La région était très verte et humide avec de nombreux cours d’eau et marais. D’épaisses forêts recouvraient la zone, peuplée de conifères géants pouvant atteindre 55 m de haut.
À l’époque, les arbres morts, échoués au bord d’un fleuve, étaient emportés par les courants. Ils finissaient leur course dans de vastes marais ou deltas. Immergés dans un environnement saturé d’eau, ils ont entamé leur lente transformation. Au cours du temps, d’intenses éruptions volcaniques ont produit de nombreux nuages de cendres chargées en silice. Portées par les vents, ces cendres se sont déposées lentement sur le sol, se mêlant aux eaux marécageuses riches en alluvions. Le processus de silicification a ainsi pu commencer son œuvre. Les molécules de silice ont remplacé peu à peu la matière organique des troncs d’arbres enfouis, couche après couche, tout en conservant leur structure d’origine.
Au fil des millénaires, l’accumulation continue des sédiments a exercé une pression importante, et la région s’est enfoncée lentement sous son propre poids. À ce stade, ce qui fut autrefois un arbre majestueux reposait à près de 450 mètres de profondeur.

Il y a 60 millions d’années, à la faveur de mouvements tectoniques, un soulèvement progressif de la croûte terrestre dans la région des badlands, a formé peu à peu des plateaux ou mesas. Le soulèvement conjugué à l’érosion du site a finalement mis au jour le bois fossilisé, révélant ainsi le processus fascinant de formation d’une forêt pétrifiée.
Une biodiversité fossile exceptionnelle
On retrouve plus de 80 spécimens bien préservés de plantes et d’animaux fossilisés :
- insectes, escargots, palourdes, crabes ;
- mais aussi amphibiens, reptiles, dinosaures, etc.
Le plus imposant est un phytosaure. Il ressemble à un crocodile géant de 9 m avec de grandes dents. Mais la plupart étaient principalement de petits carnivores bipèdes de la taille d’un humain.
Un patrimoine archéologique qui n’a pas encore révélé tous ses secrets
Un témoin des peuples autochtones
Le parc abrite les vestiges de chasseurs et de cueilleurs paléo-indiens, datant de 8 000 à 200 ans. Les rondins de bois fossilisés, disponibles en abondance, ont constitué une matière idéale pour fabriquer des outils en pierre : pointes de flèches, haches, marteaux, etc. Leurs descendants s’en sont également servis pour construire des maisons ! Lorsqu’elles sont regroupées, elles forment des villages nommés « pueblo ». Il subsiste aujourd’hui des ruines, dont les plus connues sont les « Puerco Ruins », âgées de 900 ans. Sur certaines pierres de grès figurent des pétroglyphes. Ce sont des gravures de personnes, animaux et symboles, encore quelque peu mystérieux et sujets à interprétation par les archéologues.
Des zones encore inexplorées
Le parc a récemment étendu ses frontières, pour protéger de nouvelles ressources paléontologiques et archéologiques, comme de l’art rupestre. À ce jour, 1300 sites archéologiques sont répertoriés, dont seulement un quart a fait l’objet d’un inventaire formel. Jonathan G. Hardes, archéologue, a publié très récemment une première synthèse de référence sur l’archéofaune de la période Pueblo. Les recherches précédentes se sont concentrées sur la collecte et l’analyse de céramiques, ou d’assemblages lithiques, plutôt que les restes fauniques. Ces derniers sont pourtant plus révélateurs des comportements de l’homme ancien : relations proie-prédateurs, préférences alimentaires et culinaires, pratiques de chasse, conditions environnementales et écologiques passées, changements de la biodiversité, etc.
L’inventaire offre un premier aperçu de l’étendue et de la diversité de la faune rencontrée et utilisée par les agriculteurs d’antan.
- Les restes en abondance de lièvres de Californie ou de lapins d’Audubon nous rappellent que ces animaux constituaient une source importante de protéines pour les Pueblos. De même pour le cerf mulet, dont la collecte est toutefois encore peu représentative. Sa peau servait également à la confection de vêtements ou de couvertures. Celle du renard trouvait son utilité lors de danses cérémoniales.
- L’aigle royal ou le vautour sont aussi inventoriés. Les Pueblos conservaient leurs plumes pour la conception de masques. Ils fabriquaient à partir de leurs os des sifflets et divers outils.
- Les restes de certaines espèces d’oiseaux, comme la grue du Canada ou le grèbe à bec bigarré, témoignent de la possibilité d’un environnement plus humide que celui observé aujourd’hui dans la forêt pétrifiée. Ces oiseaux migrateurs ont en effet une préférence pour les habitats marécageux et les étangs.
L’auteur démontre dans son étude la nécessité de poursuivre des études détaillées et plus rigoureuses dans ce domaine. L’objectif : répondre aux nombreuses questions relatives à l’habitat Pueblo et permettre une meilleure compréhension de la vie quotidienne des populations.
D’autres forêts pétrifiées à découvrir dans le monde
Un héritage mondial
Des forêts pétrifiées sont présentes dans la plupart des régions du monde : Amériques du Nord et du Sud, Chine, Inde, Indonésie, Madagascar, Namibie, Australie… Certaines ont même été découvertes en Antarctique, témoignant d’une époque où le climat du continent était plus chaud. Parmi les forêts pétrifiées les plus emblématiques, on peut citer celle de l’île de Lesbos en Grèce ou encore Jaramillo Petrified Forest en Patagonie.
La forêt pétrifiée de Lesbos a « seulement » 20 millions d’années. Fait remarquable : on y trouve l’arbre fossilisé le plus haut du monde. Il mesure 7,20 m ! Mais surtout, à l’instar des autres troncs du site, il est resté debout. Cela prouve que leur ensevelissement a été très rapide et s’est fait de leur vivant. La préservation exceptionnelle de ces arbres est attribuée à des éruptions volcaniques qui ont recouvert la région de cendres riches en silice, créant un environnement pauvre en oxygène (anaérobie) favorable à la fossilisation.
Le site de Jaramillo date quant à lui de l’ère tertiaire (environ 90 millions d’années). Il contient des troncs fossilisés géants, certains mesurant plus de 3 m de diamètre et 30 m de long. Ils proviennent de conifères similaires aux « araucarias », comme le pin des Andes.
Petrified Forest : entre tourisme responsable et conservation de la biodiversité
Classé parc national depuis 1962, Petrified Forest bénéficie de mesures de protection de longue date. Les activités combinent conservation scientifique, surveillance rigoureuse et éducation. Les infrastructures touristiques, comme les sentiers, sont soigneusement organisées pour réduire leur impact environnemental. Les nouvelles terres acquises font progressivement l’objet de plans de sauvegarde spécifiques. L’accent est mis sur la restauration des biotopes naturels, en contrôlant les espèces invasives et en favorisant la repousse des plantes indigènes. Malgré une sécheresse de 27 ans entre 1995 et 2022, certaines espèces endémiques, en particulier la « Gladiator milkvetch » (famille des astragales), ont pourtant réussi à s’adapter. Elles feront potentiellement l’objet d’un suivi et de nouvelles mesures de protection par le Service des parcs nationaux. L’équilibre biologique n’en demeure pas moins fragile.
La formation d’une forêt pétrifiée témoignent d’écosystèmes disparus. La recherche aide les scientifiques à comprendre les changements climatiques anciens et modernes. Il est donc plus que jamais crucial de préserver ce patrimoine géologique.