Le Mexique dissimule tout un monde aquatique souterrain : les cenotes de la péninsule du Yucatán. Le relief karstique abrite en effet un réseau de grottes inondées, de puits noyés et de dolines d’effondrement. Dans ces cavités, le spectacle se joue à huis clos ou à ciel ouvert. Les reflets de l’eau ondulent au gré de la lumière sur un kaléidoscope de bleu, comme une invitation à percer les secrets qui les entourent. Plongez dans un univers fascinant !
Le relief karstique de la péninsule yucatèque
La genèse des cenotes
Le Yucatán désigne de façon générique la péninsule, qui comporte 3 États : Campeche, Yucatán et Quintana Roo. D’après le journal Le Monde, plus de 10 000 cenotes percent le sol du Mexique. Leur nombre évolue au fil du temps, car plusieurs d’entre eux demeurent cachés sous une abondante végétation.
Ces puits naturels sont concentrés autour de l’astroblème de Chicxulub. Il s’agit d’un cratère de 180 km de diamètre, provoqué par la chute d’un corps céleste à la fin du Crétacé, voici 66 millions d’années. La collision a entraîné la disparition de nombreuses espèces et notamment l’extinction des dinosaures.
Celle-ci a longtemps été attribuée à l’impact d’un astéroïde. Mais une étude publiée dans le Scientific Report en février 2021 a remis en cause cette théorie, en envisageant sérieusement la piste d’une comète.
Ce cataclysme a généré un refroidissement climatique extrême et des pluies acides. À cette époque, le Yucatán n’était encore qu’un récif dissimulé sous l’océan. Ce n’est qu’au début de l’ère quaternaire (il y a 2,5 millions d’années) qu’il a émergé avec la baisse du niveau de la mer.
Des merveilles de la nature
Les cenotes de la péninsule du Yucatán se situent pour la plupart le long d’un demi-cercle, une disposition mise évidence par Pope en 1991 par télédétection satellitaire. L’emplacement des fractures et des failles correspond aux contours du cratère de Chicxulub.
Ces formations attestent de l’évolution géomorphologique de la péninsule depuis son émersion. Une karstification s’y est en effet développée, car elle comporte beaucoup de calcaire. Or, ce dernier devient soluble dans l’eau chargée de CO2. Les précipitations et des ruissellements d’acide carbonique ont dissous cette roche calcaire et poreuse.
Leur action corrosive a donné naissance à des formations géologiques, à la fois superficielles et souterraines. Sous l’effet d’une lente érosion, le sol s’est en effet effondré par endroits, laissant apparaître des cavernes et des gouffres immergés partiellement ou totalement.
Leurs dimensions et leurs formes varient d’une cavité à l’autre. Quant à leur profondeur, elle atteint parfois plusieurs centaines de mètres. Remplis d’eau douce, les cenotes contiennent aussi de l’eau de mer lorsqu’ils communiquent avec l’océan. Chaque site possède ainsi des caractéristiques qui lui confèrent un charme propre (stalactite, stalagmite, luminosité, couleur dominante). Par ailleurs, un cenote peut être :
- à ciel ouvert, comme le Cenote Azul ;
- semi-couvert, tel le Gran Cenote ;
- souterrain ou caverneux, à l’image du Cenote Suytun.
Les cenotes de la péninsule du Yucatán, hauts lieux de découvertes
Un peu d’histoire
Le terme espagnol cenote provient du mot dzonot, qui désigne une cavité avec de l’eau. Pour les Mayas, ces trous bleus représentaient une source de vie précieuse, en raison d’un manque chronique d’eau en surface. Mais ils revêtaient également pour cette civilisation une dimension sacrée. Le Cenote Sagrado de Chichén Itzá servait par exemple pour les sacrifices.
La question du premier peuplement de l’Amérique divise les spécialistes depuis près d’un siècle. En février 2020, une étude publiée dans la revue Plos One et relayée dans un article de Géo a apporté un nouvel éclairage sur les premiers hommes du Mexique. Un squelette de femme, complet à 30 %, a été trouvé dans les grottes de Quintana Roo. Daté de 9 900 ans avant notre ère, il présentait des caractéristiques similaires à celle d’autres fossiles humains découverts dans la région.
Cependant, la forme de son crâne ne ressemblait pas à celle des premiers habitants. Sa dentition suggérait par ailleurs un régime alimentaire plus riche en sucre. Les scientifiques ont conclu que deux groupes distincts vivaient là avant l’installation des Mayas.
Les conditions alcalines et l’obscurité des cenotes ont favorisé la conservation de plusieurs vestiges. En 2021, l’Institut national d’anthropologie et d’histoire (INAH) a annoncé une découverte supplémentaire : une pirogue entière de l’époque maya. Si les cenotes de la péninsule du Yucatán ont dévoilé de nombreux secrets au fil des années, ils en renferment sans doute encore bien d’autres…
Des phénomènes géologiques uniques
Les cenotes se rencontrent dans les structures karstiques, disséminées un peu partout dans le monde. Cette appellation reste néanmoins réservée à l’Amérique centrale et plus particulièrement au Yucatán. Il concentre en effet un nombre important de puits naturels, aux caractéristiques géologiques impressionnantes.
Les chercheurs du Great Maya Aquifer Project ont notamment remarqué que deux immenses grottes étaient reliées entre elles. Elles dissimulaient en outre des reliques mayas, des fossiles d’animaux et des os humains.
DÉCOUVERT EN 2018, LE SITE ARCHÉOLOGIQUE SUBMERGÉ DE SAC ACTUN EST CONSIDÉRÉ COMME LA PLUS GRANDE GROTTE SOUS-MARINE AU MONDE. ELLE COURT SUR 347 KM ET COMPTE 260 KM DE GALERIES INONDÉES.
À 17 km de Tulum, le Cenote Angelita présente lui aussi un phénomène surprenant. Il comporte à la fois de l’eau douce et de l’eau salée. Du fait de leur densité différente, ces deux couches ne se mélangent pas entre elles. Un dépôt de sulfate d’hydrogène, appelé halocline, les sépare et crée une rivière sous-marine à environ 30 m de profondeur. Une expérience inédite pour les adeptes de plongée !
Les cavités souterraines du sud-est du Mexique : un patrimoine à préserver
Des trésors de biodiversité
Une faune et une flore remarquables trouvent refuge dans les forêts de mangrove. De nombreux palétuviers subliment notamment les abords des cenotes. Pourtant, ces arbres tropicaux s’épanouissent généralement sur les zones côtières, car leurs racines filtrent l’eau salée.
Selon un article de National Geographic, cette mangrove serait la relique d’un écosystème lagunaire vieux d’environ 125 000 ans. Lorsque les océans se sont retirés, elle a survécu grâce aux dépôts de calcium, sans avoir besoin des nutriments de la mer. Cette découverte insolite, « figée par le temps », esquisse un tableau inquiétant des risques de réchauffement climatique et de montée des eaux qui pèsent sur notre planète.
Loin de ces préoccupations, différentes espèces cohabitent pour l’heure au sein des cenotes de la péninsule du Yucatán : hirondelles, pélicans, crustacés, poissons, tortues, etc. Dans l’eau saumâtre de Casa Cenote, un petit crocodile tient même compagnie aux nageurs ! Des organismes cavernicoles ont su par ailleurs s’adapter dans les grottes fermées. Ils se nourrissent des matières en surface ou du guano (amas d’excréments) des chauves-souris.
Des milieux fragiles
Depuis l’expansion urbaine de la ville de Cancún et l’essor touristique de la Riviera Maya, des millions de visiteurs se précipitent chaque année pour admirer la diversité des paysages mexicains et les bassins du Yucatán. Une tendance qui n’a pas échappé à certaines entreprises, qui ont décelé dans la privatisation de terres une réelle aubaine.
De plus, le pompage intensif pour l’alimentation des villes augmente le niveau de salinisation. Des agents polluants se retrouvent dans l’eau : crèmes, huiles solaires, savons et détergents. La perméabilité des roches calcaires renforce leur infiltration, ce qui menace les écosystèmes d’eau douce, côtiers et marins.
Partout dans le monde, le tourisme de masse fragilise des sites remarquables. Le Parc National des Lacs de Plitvice en Croatie incarne un bon exemple d’une nature exceptionnelle, mais vulnérable, en milieu karstique. Néanmoins, l’État mexicain semble depuis mesurer l’impact environnemental.
Cette prise de conscience tardive se heurte aux intérêts financiers. Mais elle souligne la nécessité d’une gestion durable sur la péninsule, dépourvue d’écoulement superficiel. Des réserves naturelles ont été créées. Celle de Sian Ka’an figure au patrimoine mondial de l’UNESCO. L’anneau des cenotes relève quant à lui d’un site Ramsar, soit une zone humide d’importance internationale à protéger.
L’origine de ces structures géologiques est aujourd’hui connue. Pourtant, ce relief karstique continue de fasciner. La beauté indicible des cenotes de la péninsule du Yucatán inspire en effet de nombreux visiteurs, qui viennent se perdre avec plaisir dans la contemplation de leur bleu ensorcelant. Saurons-nous préserver l’éclat de ces joyaux de la nature ?