Sous la jolie dénomination de lave en coussins ou pillow lava se cache une forme géologique unique, née de la rencontre entre la lave et l’eau. Quels processus géologiques sont à l’origine de ces laves si particulières ? Bien qu’une lave en coussins se forment sur le plancher océanique, comment est-il possible de les observer ? Pourquoi retrouve-t-on des laves en coussins aux sommets des montagnes ? Comment l’étude des pillow lava contribuent-elles à retracer l’histoire géologique d’une région ?
La formation d’une lave en coussins
Une lave en coussin, ou pillow lava, est une roche constituée de lobes arrondis et serrés dont elle tire son nom. Cette morphologie particulière se forme lorsqu’une lave très fluide est émise sous l’eau au contact de laquelle elle va refroidir. Les laves en coussins sont les formes géologiques considérées comme les plus abondantes sur Terre, notamment parce qu’elles constituent les planchers océaniques. Leur morphologie caractéristique peut être confondue avec celles des laves cordées ou pāhoehoe mais il s’agit bien là de deux types de lave distincts.
Les pillow-lava se forment lorsque la lave s’épanche sous l’eau. Si des laves en coussins peuvent se former lorsque des coulées de laves sub-aériennes pénètrent dans la mer ou lors d’éruptions sous-glaciaires, la très grande majorité est issue d’éruptions sous-marines. La lave en fusion est émise à une température comprise entre 1 000°C et 1 200°C. Lorsqu’elle rentre au contact de l’eau de mer, dont la température est de 2°C à 10°C (selon les régions et la profondeur), la lave subit un phénomène de trempe c’est-à-dire un refroidissement brutal. La surface des coussins se vitrifie alors mais reste souple. Sous l’effet de la pression de la lave qui continue d’être émise, les lobes de laves croissent à l’image d’un ballon de baudruche qui se gonfle. Les coussins individuels cessent de croître lorsque leur surface forme une croûte qui devient suffisamment épaisse pour empêcher le gonflement. Si la lave continue d’affluer, la croûte du coussin peut se rompre et entraîner la formation d’un nouveau coussin. En refroidissant, la surface de ces coussins sera alors marquée par des rainures et des stries parallèles. Ces dernières sont liées au passage de la lave à travers les parois durcies d’un précédent coussin.
Sur des pentes douces ou lorsque les taux d’éruption sont très faibles, les coussins forment un amoncellement de lobes de laves successifs, appelé séquence. Lors d’éruptions prolongées, ces empilements peuvent former de véritables murs dont les coussins situés à la base sont plus gros que ceux situés du sommet. A l’inverse, sur des pentes d’épanchement plus fortes, les coussins prennent la forme de tubes dans lesquels la lave chaude est drainée.
Toutefois, les coulées de lave en coussins ne s’étendent pas sur de grandes distances à partir de leur cheminée d’origine. Les grands champs de lave en coussins sont alors issus de plusieurs points d’émission, appelés monts sous-marins. Ces volcans actifs immergés sont situés au niveau des dorsales océaniques, des points chauds (dont Hawaï est un exemple émergé) ou des zones de subduction. C’est d’ailleurs dans une de ces zones qu’une équipe de chercheurs internationaux a réussi l’exploit d’observer une éruption sous-marine en 2009. Dans le Bassin de Lau, situé à la limite entre les plaques tectoniques australienne et pacifique, l’éruption du mont sous-marins West Mata a été filmée à près de 1200 m de profondeur. Une occasion exceptionnelle d’assister à la formation de ces laves. Mais nul besoin de plonger si profond pour observer des laves en coussins.
Les laves en coussins, produits de l’activité sous-marine actuelle et vestiges d’océans aujourd’hui disparus.
Des pillow lava aux sommets des montagnes : les ophiolites
Des laves en coussins peuvent être observées sur les continents, au sein de complexes ophiolitiques. Une ophiolite est un fragment de lithosphère océanique d’un ancien océan. La convergence de deux plaques tectoniques peut entraîner la fermeture d’un océan et la collision de deux continents. Durant cette convergence, des lambeaux de lithosphère océanique peuvent être charriés sur la croûte continentale. Ces lambeaux sont alors incorporés aux orogènes (chaîne de montagne) issus de la collision continentale.
L’ophiolite emblématique et la plus étudiée au monde est l’ophiolite de Semail qui s’étend sur 50 000 km² au nord de l’Oman et à l’est des Emirats arabes unis. Parfaitement préservée, cette ophiolite permet l’observation de murs de laves en coussin comme les fameux pillow-lavas de la région du Wadi al-Jizi.
En France hexagonale, l’ophiolite du Chenaillet (Alpes) est également très connue. Les laves en coussins qui y sont visibles sont les témoins de la présence dans cette zone d’un ancien petit océan, il y a entre 165 et 120 Ma : la Téthys alpine. Il y a 90 Ma, cet océan s’est refermé lorsque la plaque européenne s’est enfoncée sous la plaque adriatique (subduction). Après la fermeture totale de la Téthys alpine (il y a environ 30 Ma), les masses continentales sont entrées en collision, charriant un fragment de plancher océanique et donnant naissance à l’orogène alpin. C’est pourquoi les laves en coussins formées au fond de l’océan se retrouvent aujourd’hui exposées à 2650 m d’altitude dans le massif du Queyras.
Même si l’observation de la formation des laves en coussins reste un défi relevé par quelques sous-marins, l’étude de ces laves contribue à la compréhension de l’évolution géodynamique de notre planète.