Au sein des vastes étendues arides du Sahara, se cache une formation géologique aussi antique que surprenante : le Tassili n’Ajjer. Ce site naturel demeure discret au sein de l’immensité du désert. Mais au-delà de sa façade de dunes et de roches, ce relief tabulaire désertique abrite des trésors artistiques et historiques. Depuis 1982, le plateau du Tassili revêt le titre de patrimoine mondial de l’UNESCO, et en 1986, il a été consacré en tant que réserve de la biosphère. Partons à la découverte de ce massif rocheux.
Tassili n’Ajjer : un joyau naturel caché au Maghreb
L’émerveillement au cœur du désert saharien
Le parc culturel du Tassili, anciennement connu sous le nom de parc national du Tassili jusqu’à 2011, se trouve au cœur de l’Afrique, dans la partie centrale du Sahara. Occupant une superficie de 72 000 kilomètres carrés, il est localisé dans la région sud-est de l’Algérie. Ses frontières géographiques servent de délimitations avec les pays voisins que sont la Libye et le Niger. Cet immense plateau rocheux s’élève à plus de 1 000 mètres et culmine au sommet de l’Adrar Afao à 2 158 mètres d’altitude. À l’est, il domine les ergs (désert de sable) libyens de Mourzouq et d’Oubari, tandis qu’au sud, il surplombe le désert nigérien du Ténéré. Vers le nord, ce plateau se fond dans les régions sableuses d’Issaouane et de Bourharet. L’oasis de Djanet, en tant que porte d’entrée principale du plateau, offre un accès privilégié à ce parc national.
Les formations dunaires se déploient à travers le parc, créant une succession sans fin de crêtes et de vallées de sable. Le vent constant façonne les dunes, donnant naissance à des formes en demi-lune, en lignes droites, en étoiles, à coupole ou en paraboles, tandis que le soleil ajoute des nuances chaudes et dorées au paysage. En contraste, des formations rocheuses aux teintes allant de l’ocre au brun intense surgissent telles des « forêts de rochers ». Des canyons profonds, des gorges verticales, des tours, et des aiguilles ajoutent une dimension presque martienne à ce paysage aux reliefs tourmentés. Le parc abrite également plus de 300 arches naturelles.
L’histoire géologique du massif des Ajjers
L’histoire géologique de cette région remonte à environ 500 millions d’années, à l’ère Paléozoïque, lorsque les montagnes ont commencé à s’éroder progressivement. Les sédiments, principalement composés de vase et de sable, se sont déposés au fond des océans peu profonds qui couvraient alors la quasi-totalité de l’actuel Sahara. Avec le temps, ces sédiments ont subi une compaction qui a abouti à la formation de roches sédimentaires solides, connues sous le nom de grès stratifiés.
Au Cénozoïque, des forces tectoniques, en particulier un volcanisme important dans la région du Hoggar, ont initié l’ascension de ce plateau de grès, le propulsant au-dessus du niveau de la mer. Les strates de grès formées en milieu marin se sont ainsi retrouvés à l’air libre.
Depuis deux millions d’années, cette région alterne entre des périodes humides et de désertification qui ont façonné progressivement le relief.
- Lors des périodes humides, les fortes pluies ont engendré la formation de rivières et de lacs. Cette action de l’eau a sculpté de nombreuses formations rocheuses pendant des milliers d’années créant de profonds canyons et des vallées encaissées.
- Lors des périodes sèches, le vent a été un agent érosif majeur. Par ailleurs, les variations de température, avec des extrêmes entre le jour et la nuit, ont provoqué la fragmentation des sédiments gréseux en particules de sable. Un processus connu sous le nom de cryoclastie.
Au fil des millénaires, ces forces érosives ont finalement sculpté ces surprenantes corniches gréseuses.
Les strates sédimentaires constituant le désert du Tassili n’Ajjer
Les études en sédimentologie ont permis de caractériser les différentes couches successives de grès sédimentaires présents dans le massif des Ajjers.
- Tout d’abord, les grès à stratifications obliques se manifestent sous la forme de versants de falaises, sculptés par l’érosion en clochetons ou en coupoles. Ils reposent sur un socle cristallin parfaitement plat, créant ainsi un contraste lithologique extrêmement prononcé.
- Ensuite, les grès en bancs massifs forment des falaises continues particulièrement élevées.
- La « vire du mouflon » est un autre relief remarquable d’un point de vue géologique. Elle est caractérisée par des bancs de grès très minces alternant avec des couches silto-argileuses épaisses. C’est dans ces strates que les premières traces de faune marine ordovicienne ont été découvertes, permettant d’attribuer un âge compris entre le Cambrien supérieur (−541 à −514 millions d’années) et l’Ordovicien inférieur (-485 à -470 millions d’années). Ce phénomène a créé un replat bien défini et visible dans les Ajjers.
- Des grès très quartzifiés, très résistants, forment le sommet tabulaire de la haute corniche appelée la « banquette ».
- Les grès « in tahouite » se caractérisent, quant à eux, par leur finesse et leur teneur élevée en micas. Ils se présentent sous forme de dalles alternant entre le quartz et le grés argileux, créant de petits reliefs en forme de marches d’escaliers ou de collines arrondies.
- Enfin, la formation de Tamadjert est constituée de conglomérats de grès très variés, de silts et d’argile qui se sont formés lorsque le Sahara était occupé par des masses glaciaires il y a 450 millions d’années.
Les Ajjers : une vie au milieu de l’austérité désertique
Les formations de grès, avec leurs roches nues et imperméables, sont peu propices à la vie. Lorsqu’il pleut, les eaux ruissellent sur de longues distances, ne pouvant s’infiltrer dans les nappes phréatiques qu’au sein des zones sableuses. Au cœur de cet environnement aride, seules les gueltas apportent une bouffée de vie et permettent le développement d’une biocénose désertique. Ces points d’eau permanents abritent une variété de créatures telles que des poissons, des batraciens et des crustacés. Les bords de ces petites mares, composés d’argile et de limons, offrent un terreau fertile pour la végétation, attirant ainsi des espèces herbivores telles que le mouflon à manchettes. Ces oasis revêtent également une importance cruciale pour les oiseaux migrateurs pendant leurs déplacements saisonniers.
Les gueltas sont vitales non seulement pour la faune, mais également pour les populations locales qui dépendent de ces sources d’eau pour leur survie. Malgré l’apparente hostilité de la région, celle-ci reste habitée, accueillant notamment la communauté des Touaregs du groupe Kel Ajjer. Ces nomades jouent un rôle crucial en fournissant une aide et une orientation aux touristes, photographes et aventuriers qui parcourent ces environnements désertiques à dos de dromadaire. À l’image d’explorateurs renommés comme André Gide, Henri Lhote et Théodore Monod, ces individus intrépides ont relevé des défis pour étudier ce monde singulier, documentant ses trésors géologiques, mais aussi ses vestiges de la Préhistoire.
Le parc culturel du Tassili : le plus grand musée en à ciel ouvert d’art rupestre préhistorique
Une histoire climatique et humaine sculptée dans la pierre
Le Tassili n’Ajjer abrite un trésor artistique d’une ampleur extraordinaire, comprenant environ 15 000 dessins, peintures et gravures rupestres qui ornent des lieux pétroglyphiques emblématiques tels que les bords de l’oued Djerat (rivière), le parc de Tadrart Rouge, les sites de Jabbaren, Eheren et de Tahilahi. Ces œuvres d’art, dessinées par la main de l’homme, sont soigneusement nichées dans les abris-sous-roche, les escarpements et les crevasses des monolithes, formant ainsi une galerie de pictographies. Celles-ci racontent l’incroyable histoire de plus de 10 000 ans de changements climatiques, d’évolution de la vie humaine, et de la faune prospérant aux confins du Sahara. Cette collection souligne également le talent diversifié des artistes du Néolithique saharien et constitue le plus vaste ensemble d’art rupestre préhistorique au monde.
Ces représentations artistiques s’inscrivent dans une chronologie bien établie par les historiens. On y distingue plusieurs périodes clé :
- Les périodes archaïques, connues sous les noms de « bubaline et tête ronde » coïncident avec l’ère des chasseurs qui traquaient la grande faune sauvage, notamment le grand buffle, les girafes, les antilopes et les éléphants. Ces représentations témoignent de la période appelée la « période humide africaine » qui s’étend de 11,7 à 5,5 milliers d’années av. J.-C. À cette époque, le Sahara était une luxuriante savane qui attirait une multitude de mammifères venus des régions subsahariennes voisines.
- La période pastorale, qui s’étend de 7 000 à 4 500 ans av. J.-C, est marquée par la prédominance des dessins de bovidés. La célèbre gravure la « Vache qui pleure » située à 25 Km de l’oasis de Djanet, est emblématique de cette époque. Selon la tradition locale, cette représentation symbolise le désespoir des bergers de la région lorsque le « Sahara vert » s’est transformé en une terre aride et poussiéreuse.
- Deux périodes de protohistoire se dessinent également : la période caballine marquée par l’introduction du cheval, et la période des célèbres Garamantes, qui s’étendent de 3 500 à 2 000 ans av. J.-C.
- Enfin, la période caméline est caractérisée par l’arrivée du dromadaire.
Avec ses peintures et gravures rupestres, le parc culturel du désert du Tassili N’Ajjer en Algérie est le plus grand musée d’art préhistorique du monde.
Séfar, la plus grande cité troglodyte au monde
À seulement 20 kilomètres de Djanet, en plein cœur du Tassili N’Ajjer, se trouve Séfar, la plus grande cité troglodyte au monde. Sculptée par les éléments, cette ville de pierre est un trésor inestimable comprenant plusieurs milliers de maisons fossilisées aux immenses façades. Au sein de cette cité naturelle monumentale, les murs de pierre sont eux-mêmes des œuvres d’art, ornés de dessins, du plus minuscules aux motifs monumentaux de plus de 3 mètres de haut.
Les représentations artistiques de girafes, de buffles et de rhinocéros, qu’elles soient peintes ou gravées sur les parois, font écho à notre passé. Elles nous rappellent que cet endroit, actuellement inhospitalier et désertique, fut autrefois habité par une diversité d’êtres vivants. Cependant, ces expressions artistiques vont bien au-delà de la simple représentation du monde animal. Elles dévoilent également des personnages, des cérémonies religieuses, des scènes de vie pastorale, des affrontements de guerriers, ainsi que des moments de chasse. Parmi elles, des pétroglyphes énigmatiques, comme la fresque du « Grand Dieu », qui dépeignent des créatures mystérieuses, ajoutent une touche de mystère et d’interrogation à cet ensemble unique.