La vie des cours d’eau n’est pas un long fleuve tranquille. Conséquences de l’érosion, les chutes d’eau se produisent lorsque les eaux ruisselantes des rivières, des torrents ou des glaciers creusent des roches d’inégale résistance. Les couches tendres, altérées, disparaissent peu à peu, sculptant une pente plus ou moins escarpée que dévale le cours d’eau. Les cascades, également nommées cataractes ou sauts pour les plus abruptes, naissent plus volontiers en montagne où les forts dénivelés accentuent la force érosive de l’eau. Certaines sont dotées de caractéristiques si exceptionnelles qu’elles méritent le détour. Des forêts tropicales au désert glacial de l’Antarctique, embarquons pour un tour du monde des chutes d’eau les plus remarquables.
Les chutes d’Iguazù : 3 km de chutes d’eau
Au confluent des fleuves Paranà et Iguaçù, entre l’État du Paraná au Brésil et la province de Misiones en Argentine, les chutes d’Iguazù forment une frontière naturelle entre ces deux pays.
Du haut de ses 80 m, « la Gorge du Diable » domine un front en arc de cercle de 2.700 m, dessiné par les 275 chutes qui se jettent en chute libre. Le grondement des 6 millions de litres d’eau qu’elles déversent à chaque seconde est assourdissant.
Constamment, des embruns montent vers le ciel et retombent sur la selva environnante. Le cycle de l’eau ainsi reproduit a créé un écosystème où s’épanouissent quelque 2000 espèces végétales. Une faune fragile trouve également refuge sous leurs rideaux protecteurs dont certaines espèces menacées. On y rencontre caïmans à museau large, jaguars, ocelots et tapirs, de même qu’une myriade d’oiseaux et de papillons. Le parc national d’Iguazù et ses cascades figurent au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1991.
Les chutes du Niagara : des flots de visiteurs
« Quand on a vu la cataracte du Niagara, il n’y a plus de chute d’eau » (Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe). Avec 14 millions de touristes chaque année, ce sont les chutes d’eau les plus visitées au monde. Le site a connu un tel succès touristique dès le milieu du 19e siècle qu’il est devenu un véritable parc d’attractions. Certains s’y sont même jetés, au péril de leur vie, dans l’espoir de réaliser un exploit.
Leur hauteur, combinée à la force des 2800 m3 d’eau de la rivière Niagara, en font l’endroit rêvé pour admirer, écouter et ressentir l’extraordinaire puissance de la nature.
Chevauchant la frontière canado-américaine, les chutes du Niagara forment un trio. La plus grande, appelée Horseshoe ou le « fer à cheval », est canadienne. Haute de 54 m et large de 670 m, elle transporte à elle seule 90 % du débit total. Les 10 % passent par les « chutes américaines » et « le Voile de la Mariée », qui, elles, se trouvent aux États-Unis et mesurent 59 m de hauteur et 260 m de largeur.
Les chutes Victoria : les plus larges du monde
Les chutes Victoria, situées sur le cours du fleuve Zambèze, au cœur de l’Afrique australe, constituent une frontière naturelle entre la Zambie et le Zimbabwe. Leurs 1 708 m de largeur en font le plus grand rideau d’eau au monde, ce qui leur vaut d’être inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO.
David Livingstone, premier explorateur européen à parcourir cette région, en fait la découverte le 17 novembre 1855. Il les baptise alors chutes Victoria, en l’honneur de la reine d’Angleterre.
Culminant à 915 m au-dessus du niveau de la mer, ces majestueuses cataractes sont repérables à des dizaines de kilomètres à la ronde. « Mosi-oa-tunya », le nom que leur a donné le peuple Lozi et qui signifie la « fumée qui gronde », évoque les embruns qui s’élèvent jusqu’à 400 m au-dessus des gorges et le rugissement continu des 500 millions de litres d’eau qui déferlent chaque minute.
Dans ce milieu semi-aride, l’humidité ambiante a donné naissance à une forêt pluviale, zone fertile qui tient lieux de refuge à diverses espèces d’oiseaux menacées, comme l’aigle noir et le faucon taita. Il n’est pas rare d’y voir naître un arc-en-ciel.
Salto Angel : record de saut en hauteur ?
Salto Angel, au Venezuela, est connue pour être la chute la plus haute du monde. Elle plonge à pic du plus haut tepuy de la région, ces plateaux aux flancs abrupts qui s’élèvent au-dessus des nuages. Elle est si grande que l’eau s’évapore avant même d’avoir atteint le sol.
Souvent traduit par « Saut de l’Ange », Salto Angel tirerait-elle son nom de sa hauteur ? En réalité, « Angel Falls » fait référence à un pilote américain, Jimmy Angel, qui survola la Gran Sabana et parvint à atterrir au-dessus du plateau, devenant ainsi le premier humain à mettre le pied sur l’Auyán-Tepuí.
Son titre de plus haute cascade du monde est controversé par la World Waterfall Database. Cette base de données mondiale s’est donné pour mission d’élaborer une liste complète des chutes d’eau à travers le monde. Selon ses fondateurs, Salto Angel ne serait que deuxième sur le podium, détrônée par la chute de Tugela, en Afrique du Sud qui atteint 946 m.
Celle que les indiens Pemon appellent Kerepakupai Merú, la « cascade du lieu le plus profond », est composée de deux sauts, dont le plus long mesure 807 m. Cependant, Tugela compte 7 ou 8 sauts plus petits. Elle reste donc la plus longue cascade ininterrompue sur Terre.
Les chutes de Kaieteur, isolées dans un écrin de verdure
Situées au cœur de l’Amazonie, les chutes de Kaieteur, ne sont pas aussi célèbres que les « Big Three » (Iguazù, Niagara. Victoria). Leurs dimensions et leur débit en font pourtant une des cascades les plus remarquables au monde.
Au Guyana, cette cataracte de 221 m de haut et de près de 100 m de large se produit sur la rivière Potaro, dans le parc national de Kaieteur. Ici, on est loin des hordes de touristes qui affluent à Niagara : nichées dans une forêt tropicale, les chutes de Kaieteur sont difficiles d’accès. Leur isolement au milieu de paysages vierges de toute construction humaine participe à leur beauté.
Ce territoire isolé est le théâtre de nombreuses légendes amérindiennes. Selon l’une d’elles, un vieil homme fut installé dans une barque et poussé dans les chutes, qui furent ainsi nommée « Kaieteur », qui signifierait « vieil homme-chute ».
Situé au Venezuela « Salto Angel » (le Saut de l’Ange) est l’une des chutes d’eau les plus hautes AU monde.
Les chutes d’Havasu : des cascades aux couleurs éclatantes
Les chutes d’Havasu ou d’Havasupai se trouvent dans la réserve amérindienne Havasupai, en Arizona. Au cœur du Grand Canyon, elles font partie d’un ensemble de cinq cascades : les chutes de Mooney, de Navajo, de Supai et les jeunes Beaver Falls apparues en 2008 à la suite d’inondations importantes. Toutes alimentées par la même source, elles se déversent dans des piscines naturelles d’eau turquoise, qui contraste avec la roche rouge du canyon.
La teinte bleutée de l’eau, que l’on retrouve dans les cascades de Plitvice, en Croatie, est due à la présence de micro-organismes. Cette couleur résulte, ici, d’une forte concentration en carbonate de magnésium et de calcium. Au fil du temps, ces sédiments ont formé des piscines naturelles dans lesquelles les eaux de la rivière Havasu Creek plongent d’une hauteur de 37 m. Sur la roche accidentée aux abords des chutes, des vignes d’un vert profond ajoutent davantage de couleur au paysage.
Source de vie dans ces contrées arides, les chutes d’Havasu sont sacrées pour les indiens Havasupai, c’est-à-dire « le peuple des eaux bleu-vert », qui habitent la région depuis plus de 1 000 ans.
Visites au compte-gouttes pour les chutes de Sutherland
Près du Milford Sound, l’un des fjords les plus connus au monde, les chutes de Sutherland ne sont pas les plus hautes de Nouvelle-Zélande mais elles impressionnent par leur force, qui crée vents et brouillard constants.
Leurs eaux proviennent du lac glaciaire Quill, situé dans le parc national de Fiordland, sur l’île Sud du pays. En quittant le lac, la rivière Arthur s’élance d’une hauteur de 580 m, décomposée en trois sauts de 229 m, 248 m et 103 m. Après sa chute, elle poursuit son chemin jusqu’au Milford Sound.
Donald Sutherland, un colon aventurier qui cherchait de l’or dans les vallées sauvages du Fiordland, les découvrit en 1880, après trois jours de marche.
Encore aujourd’hui, cette cascade géante est difficile d’accès. Il faut emprunter le sentier de Milford, l’un des chemins de randonnée les plus connus de Nouvelle Zélande, et marcher durant quatre jours à travers des vallées creusées par les glaciers. Quelques privilégiés seulement sont autorisés à y accéder sur demande : afin de préserver l’environnement de ces forêts primaires, les autorités contrôlent le nombre des visiteurs.
Pearl Shoal ou les féériques cascades de Jiuzhaigou
Dans la vallée chinoise de Jiuzhaigou, la cascade de Pearl Shoal coule lentement, se frayant un chemin au milieu d’une abondante végétation. La beauté du lieu tient surtout à un modèle de flux imbriqués : c’est un mince flux d’eau qui a façonné une œuvre naturelle et unique.
Le niveau supérieur de la cascade, un haut-fond incliné d’environ 20 degrés, s’étend sur une largeur de 163 m, variable selon la quantité de précipitations. Pearl Shoal tire son nom des reflets formés par les rayons du soleil, évoquant une multitude de perles qui scintillent.
Ces paysages de la province du Sichuan abritent des espèces menacées, telles que l’emblématique panda géant et la panthère des neiges. Inscrit au patrimoine mondial de l’humanité, il appartient aussi au réseau mondial des réserves de biosphère.
Dettifoss, la plus puissante chute d’eau d’Europe
Située au nord de l’Islande, dans le canyon de Jökulsárgljúfur, Dettifoss est l’une des nombreuses cascades de l’île. Sa situation géographique, au niveau du Cercle Polaire Arctique, ses vastes glaciers et ses falaises basaltiques favorisent la formation des chutes d’eau, ou foss.
Le débit de Dettifoss, variant de 200 à 600 m3/s au cours de l’année, fait d’elle la chute d’eau la plus puissante d’Europe, bien qu’elle ne soit pas la plus haute. La « rivière glaciaire des montagnes », Jökulsá á Fjöllum en islandais, s’étend sur une largeur de 152 m avant de basculer en un flot massif dans un canyon d’orgues basaltiques, à 50 m en contrebas.
Elle prend sa source dans la région volcanique du Vatnajökull et emporte une grande quantité de particules rocheuses. C’est de ce limon que provient la couleur laiteuse de l’eau, qui peut varier du gris au chocolat.
Les mystérieuses « Blood Falls » d’Antarctique
Dans les vallées sèches de McMurdo, contrastant avec la blancheur de la surface du glacier Taylor, d’étranges cascades d’eau rouge jaillissent, conférant au paysage polaire un aspect inhabituel.
C’est le géologue britannique Thomas Griffith Taylor, qui, au cours de l’expédition Terra Nova de 1911, fut le premier témoin de ce phénomène insolite resté inexpliqué jusqu’en 2017. Il faudra attendre plus de cent ans après la découverte de Taylor pour que Jessica Badgeley et son équipe résolvent l’énigme des Blood Falls.
À 400 m de profondeur sous le glacier, se trouve un lac dont l’eau hypersaline est très concentrée en fer, en raison de la roche volcanique qui compose son lit. Cette saumure ferreuse, restée prisonnière de la glace durant plus de 2 millions d’années, n’a pas pu s’oxyder. Or, la fonte du glacier provoque des fissures permettant à l’eau de s’infiltrer dans sa structure. À peine à l’air libre, elle « rouille » et prend une teinte rouge vif.
La salinité élevée de cette eau explique que l’eau ne gèle pas, alors que les températures annuelles à cet endroit du Pôle Sud sont en moyenne de – 17°C.