Le Japon a la particularité de se trouver au carrefour de 4 plaques tectoniques : Pacifique, Eurasienne, Nord-Américaine et Philippine. Situé sur la ceinture de feu du Pacifique, les catastrophes naturelles y sont fréquentes et cycliques : typhon, tremblement de terre, tsunami, éruption volcanique. Pourtant, le 11 mars 2011 s’est produit un évènement inédit dans l’archipel : le « Grand Séisme de l’Est du Japon » (東日本大震災 higashi nihon daishinsai). Dans un contexte sismique japonais habitué aux « soubresauts de la terre », comment expliquer la gravité de ce désastre ? Décryptage d’une catastrophe naturelle en 3 actes.
Que s’est-il passé le 11 mars 2011 au Japon ?
Acte 1 : Un tremblement de terre de magnitude 9 secoue l’archipel nippon
Le 11 mars 2011 à 14 h 46 heure locale, une violente secousse ébranle le Japon. Initialement estimé à 7,9 sur l’échelle de Richter, le séisme est finalement évalué à 9,0 par l’Agence météorologique japonaise. Il s’agit du 4ème séisme le plus puissant survenu dans le monde depuis le début du XXème siècle.
L’épicentre se situait dans l’océan Pacifique à 130 km de Sendai (nord-est du Japon), son foyer était quant à lui à une profondeur de 32 km. À cet endroit se rencontrent les plaques Pacifique et Nord-Américaine formant un lieu de friction aussi appelé zone de subduction. La subduction se produit lorsqu’une plaque océanique plonge sous une plaque continentale.
Lors du séisme du Tôhoku, un mouvement brutal de glissement s’est opéré, entraînant un relâchement d’énergie. La plaque Pacifique s’enfonce sous celle de l’Amérique à raison de 83 mm/an en moyenne. D’après l’United States Geological Survey, l’île de Honshû se serait déplacée au total de 2,4 m vers l’est : l’équivalent de 30 ans de mouvement. Plus d’une cinquantaine de répliques supérieures à 6 ont été enregistrées suite à la secousse principale.
Acte 2 : Un tsunami déferle sur la côte du Sanriku
L’épicentre se situant en mer, la probabilité d’un tsunami est évaluée en fonction de la profondeur du foyer. Lors de la catastrophe de 2011, le séisme est superficiel et affecte la croûte terrestre. Dans ce cas de figure, la modification brutale de la topographie des fonds sous-marins entraîne un mouvement des masses d’eau, cela produit un tsunami.
Bien que la vague créée en pleine mer reste de faible hauteur (entre 20 et 120 cm), lorsqu’elle s’approche des côtes elle ralentit, augmentant en intensité et en puissance. Un tsunami peut se propager à une vitesse de 800 km/h dans l’océan.
Quelques minutes à peine après la secousse (variant de 10 min à 1 h), un tsunami s’abat sur les côtes du Tôhoku. La vague de plusieurs mètres de haut pénètre jusqu’à 10 km à l’intérieur des terres, ravageant tout sur son passage sur près de 600 km2. Les préfectures de Miyagi, Fukushima et Iwate sont les plus touchées : le tsunami a atteint par endroit une hauteur de plus de 15 mètres. Les digues de protection de la côte du Sanriku n’ont pas résisté à sa violence : 54 des 174 villes côtières sont englouties par les eaux.
Acte 3 : Un accident nucléaire éclate à la centrale de Fukushima Daiichi
La combinaison du séisme et du tsunami engendre une catastrophe industrielle majeure à Fukushima. Le tremblement de terre provoque dans un premier temps des dommages structurels perturbant le bon fonctionnement de la centrale nucléaire. Un peu moins d’une heure après la secousse, une vague de 14 mètres de haut s’abat sur les lieux. L’inondation entraîne l’arrêt des circuits de refroidissement : le cœur des réacteurs surchauffe.
Le 11 mars 2011 vers 19 h, au vu de la situation critique de la centrale, le gouvernement japonais déclare l’état d’urgence nucléaire pour le pays. Une zone radioconcentrique de 2 km autour de Fukushima Daiichi est évacuée. Les personnes vivant dans les 10 km sont assignées à résidence. Entre le 12 et le 15 mars, plusieurs explosions à l’hydrogène se produisent. La fonte des cœurs de 3 des 6 réacteurs de la centrale libère des nucléides radioactifs dans l’air et dans la mer.
Au vu de l’aggravation de la situation, la zone d’évacuation est élargie progressivement de 10 km, à 20 km, pour atteindre finalement 30 km. Les informations changeantes et diffusées au compte-gouttes génèrent une confusion et une incompréhension des sinistrés, ballottés de refuge en refuge. Il faudra attendre plusieurs semaines pour avoir des données précises sur le taux de contaminations des villages alentour et déterminer une zone d’exclusion.
Quelles sont les conséquences au lendemain de la catastrophe de Fukushima ?
Bilan humain du désastre : des milliers de victimes et disparus
Les normes parasismiques japonaises ont permis, en grande partie, aux constructions de résister au tremblement de terre. Les victimes sont majoritairement dues au tsunami qui a suivi. Les premières estimations prévoyaient une vague de 3 m, alors que celle-ci a atteint par endroit plus de 15 mètres. En conséquence, de nombreuses personnes n’ont pas évacué vers les hauteurs après le tremblement de terre.
Selon le dernier bilan de l’Agence de Reconstruction, la triple catastrophe de 2011 a causé 19 729 victimes, 2 559 personnes toujours portées disparues, et 6 233 blessés. Ce bilan humain déjà lourd n’inclut pas les victimes indirectes du désastre (dégradations des conditions de vie liées à l’habitat temporaire précaire, suicides, pathologies suites aux radiations, etc.). En outre, entre les destructions liées au tsunami et les conséquences de l’accident nucléaire, près de 500 000 personnes se sont retrouvées sans domicile.
Selon une étude menée par le gouvernement japonais, seulement 58% des habitants des préfectures d’Iwate, Miyagi et Fukushima ont fui vers les hauteurs après le tremblement de terre. Plus de la moitié des 42% qui sont restés sur place ont péri dans le tsunami.
Bilan économique du séisme : des destructions coûteuses
Les dommages structurels sont importants : routes, chemins de fer, aéroports, réseaux électriques, gaz et eau. À cela s’ajoutent de nombreuses destructions :
- 122 000 bâtiments détruits ;
- 283 000 constructions ayant subi de graves dégâts ;
- 748 000 bâtiments partiellement endommagés.
En juin 2011, le premier bilan économique estime les dommages financiers directs de la catastrophe à 16,9 trillions de yens (l’équivalent de 147 milliards d’euros). Ce montant représente 3,5 % du PIB du Japon. La Banque mondiale considère la catastrophe de Fukushima comme la plus coûteuse de l’histoire.
Bilan écologique de la catastrophe : des dommages sur le long terme
En plus des conséquences sociologiques et économiques, l’accident nucléaire de la centrale de Fukushima a des répercussions écologiques sur le très long terme.
Pour protéger les populations locales, le gouvernement a délimité des zones d’évacuations :
- zone à accès réglementé ;
- zone de retour incertain ;
- zone de résidence limitée.
Les autorités ont lancé une vaste opération de « nettoyage des sols » avec pour objectif de rouvrir progressivement certaines parties à l’habitation. En 2012, la préfecture de Fukushima pouvait compter sur un budget de 3 milliards d’euros pour passer au jet d’eau les maisons, élaguer le feuillage, et racler la terre en surface.
Quel est le bilan 10 ans après le séisme de 2011 de la côte Pacifique du Tôhoku ?
Protection des côtes : une muraille anti-tsunami de 450 km
Après la catastrophe, le gouvernement lance très rapidement son projet de reconstruction des villes côtières. Pour assurer la protection des habitants, il mise sur une solution coûteuse : 450 km de digues en béton. Cette option est d’autant plus plébiscitée par les autorités qu’elle bénéficie au lobby de la construction. De leur côté, les experts s’accordent à dire que même si le risque zéro n’existe pas, les digues retardent l’inondation et laissent plus de temps à la population pour évacuer les zones inondables.
Après 10 ans de chantier, la quasi-totalité des 450 kilomètres de murs (réparties sur les trois préfectures de Fukushima, Miyagi et Iwate) est terminée. Les nouvelles digues de protection sont encore plus hautes que celles qui étaient déjà présentes sur le territoire et qui n’ont pas résisté à l’assaut des vagues en 2011. À certains endroits, ces mégastructures de béton peuvent atteindre 14 mètres de haut. En conséquence, les habitants ont perdu tout lien visuel avec la mer. Sans parler des répercussions sur l’écologie, la pêche et le tourisme.
Reconstruction des villages : un processus lent et chaotique
En décembre 2011, les autorités japonaises promulguent de nouveaux standards de protection pour la reconstruction du Tôhoku. Cette loi classe les tsunamis en deux types, selon leur puissance et leur récurrence :
- Tsunami de niveau 1 : séisme de magnitude 8, occurrence centennale ;
- Tsunami de niveau 2 : séisme de magnitude égale ou supérieure 9, occurrence millénale.
Les plans d’urbanisme sont alors élaborés de façon à protéger efficacement lors d’un tsunami de niveau 1, et doivent faciliter l’évacuation en cas de tsunami de niveau 2.
Les stratégies de reconstructions sont ensuite décidées et appliquées à l’échelle locale. Les municipalités ont alors fait différents choix :
- se relocaliser sur des terrains en hauteurs ;
- reconstruire sur place en surélevant le niveau du sol ;
- reconstruire sur place derrière un mur anti-tsunami.
Peu importe la solution retenue, les travaux étant titanesques, il aura fallu à certaines localités presque 10 ans pour se reconstruire. Certains habitants, lassés d’attendre, ont fini par quitter les logements temporaires (仮設住宅 kasetsu jûtaku) pour refaire leur vie ailleurs. En étudiant les données, Shingo Nagamatsu (spécialiste de la prévention et de la gestion des risques) a mis en évidence une corrélation entre l’ampleur des projets de reconstruction et la décroissance de la population. Un phénomène qu’il qualifie de « paradoxe de la reconstruction » : « Une fois l’analyse terminée, un « paradoxe de la reconstruction » a été découvert, indiquant qu’un plus grand nombre de personnes émigrent de la zone touchée si la municipalité se consacre à un projet de redressement de plus grande envergure avec de lourds projets de reconstruction. » (Shingo Nagamatsu, 2018)
Zones d’exclusion nucléaire : une réouverture progressive
Le contexte est d’autant plus sensible dans les zones entourant la centrale de Fukushima Daiichi. Travaillant depuis 10 ans sur les « migrants du nucléaire », la sociologue Cécile Asanuma-Brice résume : « la situation est complexe, mêlant intérêts industriels internationaux et nationaux, nécessité de revitalisation locale et gestion sanitaire et sociale. »
Le sujet des contaminations et de ses conséquences reste tabou et peu abordé de manière directe. Pourtant, largement contesté par les experts, le seuil d’exposition aux radiations pour la population locale demeure à 100 millisieverts (mSv) par an dans la région. A titre de comparaison, en France, la limite pour les travailleurs du nucléaire est fixée à 20 mSv par an. Le Japon considère donc comme « acceptable » d’exposer des populations fragiles, des séniors et des enfants aux mêmes taux de radioactivité que des ouvriers expérimentés.
De nos jours, le gouvernement poursuit sa politique de nettoyage. La zone d’exclusion est passée de 8,3 % de la préfecture de Fukushima en 2013 à 2,4 % en 2021. Le ministère de l’Environnement discerne trois catégories de décontamination :
- les zones résidentielles : les maisons et les alentours sont décontaminés ;
- les zones agricoles : les champs sont décontaminés, mais pas les alentours ;
- les zones sauvages : la décontamination y est superficielle.
La question épineuse du traitement des 14 millions de m3 de sols contaminés reste toujours en suspens. De même que le rejet en mer ou non des eaux souillées de la centrale.
Quels enseignements le Japon a-t-il tirés de la triple catastrophe de mars 2011 ?
Le séisme du 11 mars 2011 a provoqué un bouleversement de la société japonaise. Bien qu’elle soit habituée à « vivre » avec les aléas climatiques et géologiques, le caractère inédit de cette triple catastrophe a eu des répercussions à l’échelle politique, économique et sociale.
L’évènement a également eu un retentissement à l’échelle mondiale. Quelques années après le tsunami meurtrier de 2004 dans l’océan Indien, la généralisation des smartphones a permis de capturer l’ampleur de la catastrophe. Les vidéos prises sur place par les habitants ont inondé les médias et les réseaux sociaux : jamais un tsunami n’a été autant filmé.
Qu’est-ce qui a changé au Japon depuis 2011 ? Comme après chaque désastre, les normes parasismiques ont été renforcées, cherchant à s’approcher toujours plus d’une résilience presque parfaite. Les systèmes d’alerte ont été repensés et améliorés. Grâce aux simulations informatiques, les routes d’évacuations ont pu être optimisées.
Et l’énergie atomique dans tout ça ? Avant mars 2011, 54 réacteurs fournissaient 30 % de l’électricité du pays. Dix ans plus tard, seules 5 centrales nucléaires ont repris leurs activités. Celles-ci sont toutes basées dans la partie ouest de l’archipel, moins exposée aux risques naturels. Vingt et un réacteurs vont être démantelés, les autres sont pour le moment en attente d’une mise aux normes. Certains pourraient obtenir le feu vert pour un redémarrage prochain.
De plus, les récentes promesses du gouvernement japonais d’approcher la neutralité carbone d’ici 2050 peuvent potentiellement mener à une relance du secteur nucléaire nippon.
Très très bon article tant sur la forme que le fond. Je ne pense pas qu’il y ait meilleure façon d’expliquer /illustrer ce qui se passe quand il y a un tremblement de terre et côtier de surcroît.
Intéressant