À l’heure où l’on parle de réchauffement climatique, il peut sembler décalé de s’intéresser au petit âge glaciaire (PAG). La chose est d’importance néanmoins. Selon certains historiens, le PAG pourrait être une des causes d’évènements majeurs comme la Révolution française. Le terme a pour la première fois été utilisé en 1939 par le topographe américain F.E. Matthes. Depuis cette époque, les études scientifiques ont identifié une période de refroidissement climatique entre la fin du XIIIe siècle et la moitié du XIXe siècle. Il s’agit là de l’évaluation la plus longue. En effet, le phénomène est complexe et les spécialistes ne sont unanimes, ni sur sa datation ni sur ses causes. Que sait-on aujourd’hui du climat de cette période de près de 600 ans ? Quelles causes peuvent-elles être avancées pour expliquer la petite glaciation ?
Le Petit âge glaciaire : un phénomène aux multiples manifestations
Ce que nous enseigne l’histoire
Le refroidissement général du climat a marqué la mémoire des hommes entre le Moyen Âge et le XIXe siècle. Sur cette période, il existe de nombreux indices d’une détérioration du climat :
- Une grande famine eut lieu en Europe entre 1314 et 1316 en raison d’une météorologie défavorable. Les chroniques évoquent des étés sans soleil et des précipitations abondantes. Le foin ne sèche pas, les charrues s’embourbent, les rendements du blé sont très faibles.
- En 1481, une nouvelle famine intervient en France en raison d’un hiver très froid suivi d’un printemps et d’un été désastreux.
- Les colonies vikings du Groenland disparaissent tragiquement, faute de s’être adaptées aux changements climatiques.
- En France, la fin du règne de Louis XIV est marquée par des catastrophes climatiques et démographiques. La disette des années 1693-1694 est due à des intempéries excessives et aux basses températures. Au cours de l’hiver 1709, on enregistre des records de froid : jusqu’à -20,5° C à Paris ! On estime la surmortalité française à la fin des années 1700 à environ 600 000 personnes.
Des artistes ont aussi décrit des hivers particulièrement froids. Ainsi, des peintres comme le flamand Pieter Brueghel l’Ancien (1525-1569) ont livré le témoignage d’hivers rigoureux où les étangs gelés permettaient la pratique du patin à glace.
Les historiens du climat disposent d’informations fiables à travers les registres qui recensent les évènements marquants de l’année. Il s’agit en particulier de la date des vendanges qui est enregistrée en France à partir des années 1370. Des vendanges précoces sont le signe d’un printemps et d’un été chaud, des vendanges tardives témoignent au contraire d’un printemps et d’un été plus frais. La culture du blé est également un indicateur climatique intéressant. Cette céréale est, en effet, très sensible aux variations climatiques. Ces données ont notamment été étudiées par le spécialiste de l’histoire du climat, Emmanuel Le Roy Ladurie (Histoire du climat depuis l’an mil, 1967).
Toutefois, ces témoignages historiques ne permettent pas de distinguer dans ces épisodes météorologiques extrêmes une évolution du climat. Cette dernière doit s’appréhender sur le long terme à travers des données scientifiques certaines.
Les reconstitutions paléoclimatiques
Une autre source d’information est constituée par l’observation des glaciers. Ces derniers avancent ou reculent selon le froid et l’humidité.
Par exemple, le glacier d’Aletsch en Suisse a été étudié par l’école de glaciologie de Berne et de Zürich sur une durée de 3 000 ans (Holzhauser et al. 2005 ; Holzhauser 2009). Les avancées et reculs successifs de ce glacier témoignent d’un apogée du petit âge glaciaire entre le XVIe siècle et le milieu du XIXe siècle. Depuis 1850, le glacier a reculé de 3 kilomètres. Des études sur d’autres régions du monde démontrent également un recul des glaciers à partir de la moitié du XIXe siècle (Oerlemans, 2005).
Une autre méthode est utilisée pour suivre l’évolution du climat sur le long terme, il s’agit de la dendrochronologie. Cette discipline étudie la croissance des arbres à partir des anneaux observés sur la coupe des troncs. Ces informations permettent de déterminer l’âge de l’arbre, mais aussi les données climatiques d’une année particulière. Par exemple, les cernes seront plus resserrées en cas de sécheresse. Ces données ont notamment été étudiées pour les Alpes françaises (Jean-Louis Édouard et al. 2009).
Les scientifiques ont ainsi pu évaluer la baisse des températures lors de la petite glaciation. Entre une période anormalement chaude, « l’Optimum climatique médiéval » (Xe-XIVe siècle), et un réchauffement depuis la fin du XIXe siècle, les températures moyennes auraient baissé de 0,5 à 1° C. Une baisse moyenne qui peut sembler relativement faible. Elle cache néanmoins de fortes amplitudes thermiques et des épisodes extrêmes plus nombreux, notamment des températures très basses en hiver.
Si le Petit Age Glaciaire est un fait historique et scientifique avéré, les causes de ce refroidissement global font toujours débat au sein de la communauté scientifique.
Les causes du refroidissement climatique : un débat toujours ouvert
La réduction de l’activité solaire
Il est aujourd’hui admis qu’une des causes majeures de ce refroidissement global provient d’une baisse d’activité du Soleil. Ce dernier est observé depuis longtemps grâce à la lunette astronomique mise au point par Galilée (1609).
L’activité solaire peut être déduite à partir de la densité de « taches » présentes à sa surface. On sait à présent que ces taches correspondent à des zones où le champ magnétique est très fort et où les gaz chauds n’atteignent pas la photosphère (surface visible de l’étoile). Ces zones sont un peu plus froides et apparaissent très sombres par rapport au reste de la photosphère. La présence de taches est le signe d’une activité intense du Soleil, peu ou pas de taches solaires témoignent d’une activité réduite de l’astre.
Par exemple, au cours de la période 1645-1715, très peu de taches ont été observées. Cette époque a connu plusieurs épisodes de froid extrême comme évoqué précédemment.
Les observations de l’activité solaire ont été corroborées par la mesure des radionucléides (produits par les rayons cosmiques). Celle-ci a permis d’évaluer le flux solaire incident sur une échelle de temps de 1 000 ans. Il a été constaté des fluctuations de l’irradiance solaire totale (TSI, flux solaire reçu au niveau de la Terre) selon des cycles de 11 ans.
De plus, quatre minima d’irradiance apparaissent pendant le XIVe siècle (minimum de Wolf), le XVe siècle (minimum de Spörer), le XVIIe siècle (minimum de Maunder) et le XIXe siècle (minimum de Dalton).
L’activité volcanique
L’origine du petit âge glaciaire a aussi été recherchée dans l’activité volcanique terrestre. Des carottes de glace ont, en effet, été prélevées dans les années 1970 au Groenland puis en Antarctique. Les échantillons contenaient des dépôts d’aérosols sulfatés composés à 70 % de silice, caractéristiques d’une éruption volcanique majeure. Son effet sur le climat ? Les cendres émises lors des éruptions explosives dans la haute atmosphère réfléchissent les rayonnements solaires et entraînent une diminution de la chaleur reçue par la Terre.
Un pic de concentration a été observé dans les dépôts glaciaires autour de 1258-1259. Cela signifiait qu’une ou plusieurs éruptions de grande ampleur avaient eu lieu à cette époque. Après cette découverte étonnante, les scientifiques ont recherché les volcans responsables d’un tel cataclysme. En 2013, le géographe Franck Lavigne et son équipe, dans un article scientifique publié dans la revue PNAS, ont émis l’hypothèse selon laquelle le volcan se situerait sur l’île de Lombok, en Indonésie. Le volcan Samalas semble en effet présenter les caractéristiques de la méga-éruption recherchée :
- Une éruption plinienne, susceptible de toucher les deux hémisphères ;
- Une caldeira (cratère géant d’origine volcanique) de plusieurs kilomètres dont les flancs sont recouverts de pierres ponces ;
- L’existence de chroniques qui parlent d’une éruption colossale à la fin du XIIIe siècle.
Pour d’autres scientifiques (Gifford H. Miller et al., Geophysical Research Letters, janvier 2012), le petit âge glaciaire aurait commencé entre les années 1275 et 1300. Il aurait été causé par quatre éruptions volcaniques survenues en moins de cinquante ans.
Toutefois, des éruptions volcaniques ne peuvent expliquer à elles seules un refroidissement climatique de plusieurs siècles (Marie-Antoinette Mélières, Chloé Maréchal, Climats passé, présent, futur, Belin, 2020, p.218).
Le Gulf Stream et les conquistadors
D’après une autre étude publiée en 2006 dans la revue Nature, des chercheurs américains ont émis une nouvelle hypothèse. Sans exclure les autres causes, ils ont pu corréler la période du petit âge glaciaire avec un ralentissement moyen du Gulf Stream. Ce courant marin offre à l’Europe de l’Ouest un climat tempéré et aurait connu un ralentissement d’environ 10 % sur la période étudiée. Les données restent toutefois parcellaires et mériteraient d’être complétées.
Une nouvelle théorie audacieuse a été formulée en mars 2019 par des géographes de l’University College de Londres et de l’Université de Leeds, au Royaume-Uni. Ils affirment que la disparition de millions d’Amérindiens après l’arrivée des Européens aurait eu un effet sur le climat de la planète.
Selon ces chercheurs, près de 90 % des populations locales ont été décimées par les guerres et les maladies contagieuses. Une telle hécatombe aurait entraîné l’abandon de grandes surfaces cultivées. La forêt aurait alors repris ses droits et absorbé davantage de CO2, réduisant considérablement l’effet de serre sur la planète.
Les conquistadors à l’origine d’une accentuation du petit âge glaciaire ? Gageons que nous n’en avons pas fini avec les hypothèses sur cet épisode de refroidissement global du climat. Une problématique qui présente une symétrie avec les préoccupations de notre époque, cette fois-ci dans le cadre d’un réchauffement climatique…
SVP attention à ce que vous écrivez. Les conquistadors ne peuvent pas être « à l’origine du réchauffement global » puisque Colomb découvre l’Amérique en 1492, Cortes conquiert le Mexique vers 1521. Hors vous écrivez vous même que les effets d’un refroidissement commence à se faire sentir dès les années 1300… L’hypothèse des conquistadors est intéressante, mais au mieux elle n’a pu qu’accentuer un phénomène déjà en cours !
Bonjour Damien, merci pour votre commentaire.
Tout d’abord, vous aurez noté la complexité du sujet et le manque de consensus scientifique. Nous n’écrivons pas que les conquistadors sont à l’origine du PAG, nous ne faisons que relayer les travaux des chercheurs de l’University College, comme l’une des causes possibles de cet épisode de refroidissement du climat. J’ai remis le lien vers la publication si vous souhaitez aller plus loin (le lien orange était mort) : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0277379118307261
« Les conquistadors à l’origine du refroidissement global ? » Notez le conditionnel du passage dédié à la théorie sur les conquistadors et la formulation interrogative de cette phrase, pour une simple mise en perspective dans notre conclusion. Des propos qui sont loin de résumer à eux seuls la teneur de notre article. Un article qui a pour volonté de relayer les possibles causes et les conséquences factuelles du PAG, le tout étant appuyé par une documentation fournie et fiable.
Mais en effet, les propos sur lesquels vous mettez le doigt, manquent de marqueur temporel et peuvent prêter à confusion. On vous rejoint sur l’accentuation HYPOTHETIQUE du refroidissement global à partir du XVème siècle, en lien avec l’arrivée des conquistadors en Amérique… En effet, le PAG a vraisemblablement pu débuter dès la fin du XIIIème siècle, si l’on se réfère aux différents travaux sur l’influence des éruptions volcaniques, notamment celle du Samalas en 1257… La précision a été apportée ! 🙂
Effectivement j’ai fait un lapsus, je parlais bien du PAG et non du réchauffement !
Mais cela ne change rien à l’erreur que je voulais pointer du doigt : la cause d’un phénomène ne peut pas être postérieure à ses conséquences. J’imagine bien que cela n’est pas une erreur de raisonnement mais une étourderie lors de la rédaction de l’article. Merci !