Au milieu du XIXème siècle, les premiers rapports d’expédition faisant état de l’observation de neige en Tanzanie provoquent la stupéfaction. Personne ne veut croire qu’à ces latitudes tropicales du continent africain, de l’or blanc puisse exister. La légende était alors en marche autour du mont Kilimandjaro. Avec ses dimensions monumentales et son altitude de 5 895 mètres, faisant de lui le point culminant de l’Afrique, ce volcan en impose dans la savane. Mais ce sont bien les glaciers et les neiges éternelles coiffant son sommet qui ont forgé sa célébrité. Joyau de la Nature et objectif plébiscité par de nombreux randonneurs, le toit de l’Afrique n’en reste pas moins un site fragile menacé par l’activité humaine. Comment ce massif volcanique est-il né et quelle évolution a-t-il traversée ? Découvrez les processus qui ont jalonné la formation du mont Kilimandjaro, les richesses qu’il renferme, mais aussi les dangers qui pèsent sur lui.
La formation géologique du mont Kilimandjaro
Un volcan enfanté par la vallée du Grand Rift
Le mont Kilimandjaro entame sa formation il y a près d’un million d’années au cœur de la vallée du Grand Rift. Cette immense faille parcourt une grande partie de l’Afrique de l’Est depuis la mer Rouge au nord jusqu’au lac Malawi au sud. Un perpétuel mouvement s’y joue, provoqué par la séparation de la plaque somalienne de la plaque africaine. Cette activité tectonique a favorisé la remontée de magma, qui est parvenu à jaillir de trois ouvertures dans le sol de l’actuelle Tanzanie. Trois volcans sont alors apparus, donnant naissance à ce qui allait devenir le massif du Kilimandjaro. Ces édifices volcaniques entrent dans la catégorie des stratovolcans. Formés par une succession d’éruptions explosives et effusives, ils se caractérisent par des versants pentus et un dôme situé à leur sommet.
Le Kilimandjaro, un alignement de plusieurs volcans
Le Kilimandjaro est à proprement parler un massif volcanique formé de plusieurs volcans, dont trois principaux.
Dans le langage courant, il désigne en réalité le volcan du Kibo. Plus récent géologiquement, il est aussi le plus élevé avec son pic Uhuru, d’une altitude de 5 895 mètres. Ce sommet fait de lui le point culminant du continent. Sa partie supérieure prend la forme d’un large plateau sommital au sein duquel les traces d’une caldeira de 2,5 km de diamètre sont encore visibles. Une caldeira désigne un vaste cratère circulaire provoqué par une éruption très explosive. Une paroi rocheuse de 200 mètres de haut encercle cet espace. En contrebas, une activité volcanique subsiste au cœur de ce plateau. Deux cratères concentriques et emboîtés laissent échapper quelques fumerolles sulfureuses : l’Ash Pit et le cratère Reusch. Le volcan n’est donc pas considéré comme totalement éteint, bien que sa dernière éruption majeure ait eu lieu il y a probablement plus de 135 000 ans.
Le Shira, situé à l’extrémité ouest du massif, est le plus ancien et le moins accidenté des sommets. À la suite d’un effondrement, il prend la forme d’un cratère d’explosion, progressivement aplani par l’érosion.
Tout à l’est, s’établit le Mawenzi autour d’un culot de lave refroidi. Sous l’effet de l’érosion, il devient par la suite un pic rocheux abrupt.
Les neiges du Kilimandjaro, origine de sa célébrité
Plus que son altitude impressionnante, c’est la présence de neige sur son sommet qui assure à ce massif un émerveillement et une renommée mondiale. Observée pour la première fois en 1848 par le missionnaire allemand Johannes Rebmann, sa découverte crée la polémique et une certaine réserve. Les géographes européens de l’époque allèrent même jusqu’à le soupçonner d’avoir confondu du calcaire avec de la neige. Il faudra attendre une dizaine d’années et de nouvelles explorations pour confirmer définitivement la présence de neiges éternelles aux abords du sommet du Kilimandjaro.
Le spectacle étonnant des glaciers sous l’Équateur
La présence de neige sous des latitudes proches de l’Équateur est pourtant bien avérée et confère au Kilimandjaro sa dimension mythique. Au milieu de la savane africaine, trône ainsi ce massif volcanique imposant et solitaire, auréolé de ses neiges éternelles étincelantes.
Des glaciers cantonnés au Kibo surmontent en effet la montagne. On en dénombre douze, qui s’étendent le long de ses versants. Ils offrent un contraste saisissant entre la pâleur de leurs blocs et l’opacité de la lave figée.
À cet endroit du globe, le rayonnement des ultraviolets frappe la surface terrestre en ligne directe. Les zones de glace fondent ainsi verticalement, et sculptent les glaciers de manière très étrange. Leur aspect acéré très caractéristique ferait presque penser à une œuvre cubiste.
Des neiges « éternelles » menacées de disparaître
Le glacier du Kilimandjaro vit aujourd’hui une phase de retrait rapide qui le rapproche inexorablement de sa disparition. Sa fonte s’est amorcée dès 1850, mais elle connaît une accélération sans précédent ces dernières décennies. Depuis le début du XXème siècle, la masse de glace a diminué de 80 %. À ce rythme effréné, on estime que les glaciers auront totalement disparu du sommet vers 2040. Les cratères du Kibo conserveront leur aspect majestueux, mais le volcan devrait perdre une partie de sa superbe avec la disparition de son manteau blanc.
Le réchauffement climatique est indéniablement responsable de cet impressionnant recul des glaciers. Cependant, la principale raison résiderait plutôt dans le phénomène de la déforestation. Avec l’intensification des activités humaines au pied du volcan telles que l’élevage et l’agriculture, l’humidité atmosphérique a fortement chuté autour du massif. Les répercussions se font sentir jusqu’au sommet qui enregistre une régression significative des précipitations. Dans cette situation, le rythme de formation de la glace ne compense plus celui de la fonte. La hausse globale des températures conjuguée au recul des précipitations consécutif au resserrement de la couverture végétale explique la disparition imminente des glaciers.
AU MILIEU DE LA SAVANE AFRICAINE TRÔNE LE MONT KILIMANDJARO, MASSIF VOLCANIQUE IMPOSANT ET SOLITAIRE, AURÉOLÉ DE SES NEIGES ÉTERNELLES ÉTINCELANTES.
Une biodiversité parfaitement adaptée à l’altitude
Le randonneur qui se lance dans l’ascension du Kilimandjaro est rapidement frappé par la diversité des paysages qu’il rencontre. Au fur et à mesure que le sol s’élève, des sortes d’étages naturels se succèdent, avec leur population animale et végétale propre.
Les plaines
Aux abords de la montagne, des plaines s’imposent dans le panorama. Situées à des altitudes oscillant entre 600 et 1800 mètres, elles se caractérisent par un climat chaud et sec et des paysages de savane. Les étendues d’herbes dominent la végétation, mais on observe également des arbustes et des arbres, comme le baobab africain ou différentes sortes d’acacias. Cette flore abrite de nombreux oiseaux et mammifères.
La forêt de montagne
De 1800 à 3000 mètres d’altitude, s’étend l’étage montagnard. La forêt tropicale prolifère dans cet espace, faisant place à une végétation épaisse et humide. Sous la canopée, on peut observer des genévriers, des albizias ou encore d’impressionnantes fougères arborescentes. Une riche population d’oiseaux et de mammifères y a élu domicile, comme le babouin, le léopard et la mangouste.
La lande
Entre 3000 et 4000 mètres d’altitude, l’étage alpin se déploie avec ses ambiances de landes et de maquis. Une végétation plus trapue se développe, composée de plantes à fleurs et d’arbustes comme la bruyère arborescente. De nombreuses espèces de passereaux aux couleurs très vives occupent ce territoire. L’aigle huppard y est également présent, chassant différentes sortes de rongeurs qui peuplent ces paysages.
Le désert alpin
Aux alentours des 4000 à 5000 mètres d’altitude, la nature fait place au désert alpin, aussi appelé étage afro-alpin. Une atmosphère sèche et un climat rude prédominent dans cet environnement. La végétation qui parvient à s’y développer se limite à des espèces parfaitement adaptées pour des conditions rigoureuses. Le séneçon géant, plante endémique au Kilimandjaro, constitue l’exemple le plus remarquable de cette flore coriace. Quant à la faune, elle se cantonne à quelques rapaces capables de s’aventurer dans ces territoires hostiles, comme la buse rounoir, l’aigle des steppes et le gypaète barbu.
Les neiges éternelles
Au-delà des 5000 mètres d’altitude, un décor désolé domine le dernier étage nommé nival. Cette appellation souligne son rapport direct à la neige. Ses ambiances minérales ne laissent quasiment aucune place à toute forme de vie. Seuls quelques rares lichens et araignées parviennent à subsister dans cet environnement inhospitalier.
Le Kilimandjaro, un patrimoine naturel menacé à protéger
Le mont Kilimandjaro mérite le qualificatif de site naturel remarquable à bien des égards. Volcan imposant de près de 100 km de long, il est visible par temps clair depuis Nairobi, la capitale du Kenya distante de 200 km. Sa situation isolée dominant des paysages de savane, son sommet enneigé et sa très grande altitude parachèvent son caractère unique.
Toutefois, le massif manifeste des signes de fragilité qui mettent en péril la richesse de sa biodiversité. Conscientes de cette situation délicate, les autorités ont pris des mesures pour protéger l’intégrité naturelle du volcan.
Un site naturel en proie à des dangers multiples
Le massif du Kilimandjaro demeure très vulnérable du fait de nombreuses menaces ayant pour dénominateur commun l’activité humaine.
L’agriculture aux abords de la montagne provoque une pression sur les terres boisées et augmente les risques d’incendie. Elle génère par ailleurs un risque accru de pollution de l’air, de l’eau, et l’apparition d’espèces envahissantes.
Le tourisme de masse apparu avec la notoriété acquise par l’ascension du Kilimandjaro suscite également son lot de nuisances environnementales. Le prélèvement illégal de ressources ou encore le dépôt sauvage de déchets comptent parmi les conséquences néfastes de cet afflux de visiteurs.
Le changement climatique exerce aussi une tension sur le site. La fonte des glaces apparaît comme la manifestation la plus évidente, mais la hausse des températures est également nocive pour la biodiversité du lieu.
La création d’un parc national pour sanctuariser le mont Kilimandjaro
Face aux dangers de plus en plus pressants sur l’écosystème de l’édifice volcanique, le Parc national du Kilimandjaro voit le jour en 1973. En 1987, son inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO est entérinée. Le périmètre de cette zone protégée comprend l’ensemble du massif situé au-dessus de la limite supérieure de la forêt. L’instauration de cette réserve naturelle implique la mise en place d’un plan de gestion. Des gardes forestiers sont notamment formés et déployés pour assurer l’exécution sur le terrain des actions concrètes de surveillance et de préservation de l’environnement.
Le parc a pour but de sanctuariser le site naturel du Kilimandjaro et ainsi préserver son caractère exceptionnel. L’atteinte de cet objectif se décline en plusieurs axes :
- protéger l’intégrité visuelle de ce site naturel spectaculaire ;
- conserver la couverture forestière de la montagne ;
- défendre la biodiversité de cet écosystème.
Au beau milieu de la savane africaine, sa silhouette massive, solitaire et sa parure blanche en son sommet ont propulsé le Kilimandjaro dans la légende. Reste à savoir si le mythe entourant ce grandiose volcan africain survivra à la disparition inévitable des neiges qui ont construit sa célébrité.