Le cratère du Kawah Ijen, situé sur l’île de Java en Indonésie, est bien connu des amateurs de volcans pour ses paysages remarquables. Il abrite en effet le plus grand lac acide au monde. Bien que splendide avec sa belle couleur verte, il n’en n’est pas moins redoutable. Les fumerolles chargées de soufre font également partie du décor du Kawah Ijen. Elles contribuent à créer un étrange phénomène se répétant chaque nuit : des flammes bleues se mettent à illuminer le cœur du volcan. Mais s’il ne fallait retenir qu’une seule chose du Kawah Ijen, ce sont les hommes qui s’activent dans cet environnement hostile. Munis d’un équipement minimaliste, les mineurs triment pour extraire le soufre et le transporter hors du cratère. Un travail effectué dans des conditions dantesques, et qui force le respect. Entre volcan à la beauté surnaturelle et lieu inhospitalier mettant les organismes à rude épreuve, tour d’horizon des particularités de ce volcan pas comme les autres.
Le Kawah Ijen, un cratère particulier
Formation du volcan Ijen
Le volcan Ijen se trouve en Indonésie, à la pointe est de Java, en face de Bali. Il a vu le jour il y a 6 000 ans environ. Il s’agit du plus jeune volcan appartenant à un grand système volcanique né il y a plus de 300 000 ans. À cette période, un stratovolcan nommé Old Ijen et culminant à 3 500 mètres s’est formé. Un stratovolcan désigne un volcan possédant un volcanisme explosif, qui se distingue par des flancs très abrupts, coiffé d’un dôme à son sommet. Le volcanisme explosif se caractérise par des projections de cendres et de blocs de lave lors d’une éruption.
Il y a 50 000 ans, l’éruption du volcan a créé la caldeira de Kendeng. Une caldeira (ou caldera) est un vaste cratère d’effondrement volcanique dont le diamètre peut atteindre plusieurs kilomètres. Son pourtour peut être circulaire ou ovale. L’origine de ce mot provient du portugais et signifie « chaudron ». La caldeira de Kendeng possède un diamètre de plus de 20 kilomètres. Au sein de cet ensemble, plusieurs volcans actifs sont présents, comme le Raung. Au sud de la caldeira, l’activité volcanique a continué et s’est ainsi que s’est formé le Kawah Ijen.
Kawah Ijen veut dire « cratère vert » en javanais. Le nom de Kawah Ijen désigne donc le cratère du volcan et son lac d’une intense couleur verte. Le volcan Ijen culmine à 2 800 mètres d’altitude tandis que son cratère principal atteint une altitude de 2 380 mètres. Ce dernier mesure 1 kilomètre de long pour 700 mètres de large.
À l’inverse de l’Etna en Europe, le Kawah Ijen est un volcan peu actif, bien qu’une activité fumerolienne subsiste. Sa dernière éruption remonte à 2002 et n’avait pas occasionné de dégâts.
Le plus grand lac acide au monde
Le Kawah Ijen est réputé pour abriter le plus grand lac d’acide sulfurique au monde. La couleur du lac, d’un magnifique vert intense, fait également sa renommée.
Son pH, dont la mesure est inférieure à 0,3, compte parmi les plus faibles qui soient connus. Preuve de son extrême acidité, une craie plongée dans ce bain agressif finit par être rongée en quelques secondes. La température de l’eau peut atteindre les 50 degrés.
Le lac représente l’équivalent de 7 000 piscines olympiques. Ses fumerolles sous-marines produisent un mélange composé d’acide sulfurique et d’acide chlorhydrique.
Les zones d’où proviennent ces émanations portent le nom de solfatare, dérivé du latin sulpha terra et qui signifie « terre de soufre ». L’origine de leur nom viennent de la Solfatare, un cratère volcanique situé dans la banlieue de Naples en Italie.
En période d’éruption, le lac devient plus dangereux. Sa surface bouillonne, créant de grosses bulles, qui en explosant, libèrent des gaz toxiques en grande quantité. Il est alors impossible de survivre dans un tel environnement.
Pourtant, quelques individus se sont risqués à naviguer sur le lac. Le 5 août 1971, le célèbre volcanologue français Maurice Krafft, accompagné de son collègue géologue Gilbert Féraud, ont été les premiers à oser s’y aventurer pour effectuer des prélèvements. Le scientifique français, accompagné de son épouse Katia Krafft, avait également eu l’occasion d’observer le plus grand lac de lave au monde, à l’intérieur du cratère du volcan Nyiragongo.
Les flammes bleues, un phénomène unique
Il est impossible d’évoquer le Kawah Ijen sans parler de ses mystérieuses flammes bleues. Il s’agit du seul endroit au monde où l’on peut observer ce phénomène irréel et très photogénique. À cause de la lumière du jour, ce spectacle saisissant est uniquement visible de nuit. Dans l’Antiquité, Pline l’Ancien l’avait déjà décrit en observant le cratère du Vésuve, duquel s’échappaient des flammes bleues.
Les gaz qui émanent du volcan sont chargés de dioxyde de soufre et de sulfure d’hydrogène. Les plus chauds peuvent atteindre des températures allant de 600 à 700 degrés. Lorsqu’ils sortent à l’air libre, ils s’embrasent, ce qui donne naissance à des flammes bleues pouvant mesurer entre 6 à 8 mètres de hauteur. Certaines se dressent à la verticale, semblables à des torches. D’autres demeurent à l’horizontale, en épousant le sol. Leur couleur bleue métallique est surprenante et rappelle le mercure.
Lorsque le soufre se refroidit, il se condense et devient liquide. Puis il se cristallise et se transforme alors en concrétions. Une concrétion désigne l’action, pour un corps liquide, solide ou gazeux, de se solidifier ou de s’agglomérer grâce à l’intervention d’un phénomène physique ou non. La couleur des concrétions de soufre produites par le Kawah Ijen varie entre le jaune canari et l’orange.
« Entre la beauté exceptionnelle du lac turquoise, le cratère jaune
vif par endroits, l’activité des mineurs et les flammes bleues, le volcan Ijen est un endroit unique au monde. » Florent Mamelle, photographe pour le National Geographic.
Le soufre du Kawah Ijen, une exploitation périlleuse
Rencontre avec les forçats de l’or jaune
Plusieurs fois par jour, des mineurs gravissent et redescendent les pentes abruptes de la montagne pour y extraire « l’or jaune », autrement dit le soufre. Celui-ci est produit par la cristallisation des gaz émanant du cratère. Il est très recherché par de nombreuses industries, comme celles qui s’occupent de blanchir le sucre ou de fabriquer du savon.
Le labeur de ces hommes se déroule dans des conditions très pénibles : en plus du fort dénivelé, ils ne sont pas équipés de masques à gaz, et respirent en permanence des fumées toxiques. Composées de dioxyde de soufre, elles sont hautement nocives pour le système respiratoire.
Les flancs du volcan abritent une cabane faisant office de café-restaurant pour les touristes. À proximité, on peut apercevoir un refuge où les ouvriers peuvent dormir lorsqu’ils travaillent à l’exploitation du soufre.
Parfois, le volcan, surveillé de près par un observatoire, est inaccessible aux mineurs. Il suffit que l’aspect de la surface du lac se modifie pour que les volcanologues décrètent qu’il est dangereux de s’y rendre. Ils recommandent donc aux autorités de bloquer l’accès du Kawah Ijen aux travailleurs. En 1990, les mineurs n’ont pu se rendre sur le volcan durant plusieurs mois, ce qui les a forcés à chercher du travail ailleurs, notamment sur l’île voisine de Bali.
Bien que cet environnement paraisse infernal, les mineurs sont conscients des risques. Le salaire qu’ils reçoivent pour cette besogne est supérieur au salaire minimum en Indonésie et font d’eux des hommes respectés, capables d’assurer une meilleure vie à leur famille.
L’extraction dans la zone de solfatare
L’exploitation du soufre au Kawah Ijen a débuté en 1911, durant la période coloniale hollandaise. Depuis 1968, c’est une société privée qui gère les quelque 200 mineurs travaillant de manière indépendante.
Comment les mineurs procèdent-ils pour extraire le soufre du cratère ? Tout d’abord, équipés de deux paniers reliés par une tige en bambou, ils repèrent les fumerolles les plus épaisses de la zone de solfatare. Ensuite, ils installent des tuyaux leur permettant de canaliser les volutes volcaniques contenant du soufre liquide. L’un des inconvénients de ce système est que l’emplacement des tuyaux change au gré de l’activité volcanique, laquelle évolue constamment. À intervalles réguliers, ils doivent donc démonter et réinstaller leurs tuyaux en différents endroits du volcan.
Une fois sorti des tuyaux, le soufre refroidit et durcit, passant d’une couleur rouge sang à un jaune caractéristique. Le minerai est prêt à être cassé et à être acheminé dans les paniers.
Commence alors la remontée du cratère jusqu’à son bord, 250 mètres plus haut. Payés au poids, les mineurs ploient sous leurs paniers pouvant peser entre 70 et 120 kilos. Arrivés au sommet, ils chargent leurs corbeilles dans des charrettes, puis ils redescendent les pentes du volcan sur près de 3 kilomètres, jusqu’au point de collecte. Ils effectuent ce trajet deux à trois fois par jour. Afin d’éviter la chaleur, les hommes préfèrent travailler de nuit.
La transformation du soufre en usine
Au point de livraison, c’est maintenant l’heure de la pesée. Le poids du soufre récolté peut varier entre 140 et plus de 200 kilos. Les mineurs reçoivent 6,50 euros pour 100 kilos, remis par un caissier. Deux tonnes de soufre sont extraites chaque jour du Kawah Ijen.
Après avoir été pesé, l’or jaune est déposé dans des camions se rendant dans une usine de transformation nichée dans une forêt, à quelques kilomètres du Kawah Ijen.
Les ouvriers utilisent des méthodes sommaires afin de refondre le soufre et de le débarrasser ainsi de ses impuretés. Il est ensuite coulé dans le but de former une croûte mince qui pourra être séparée en petits copeaux.
La forêt entourant l’usine fournit du bois humide, qui lorsqu’il est brûlé dégage une importante fumée. À nouveau, les conditions de travail sont pénibles : tout en respirant l’âcre nuage, les travailleurs manient le soufre sans aucune protection.
Après avoir été filtré, il est versé sur un sol carrelé et recouvert d’une fine couche d’eau. Au bout de quelques minutes, il cristallise et est prêt à être récolté. Un ouvrier se charge de briser des petits morceaux du précieux élément avec un couteau à long manche. La dernière étape consiste à placer les fragments dans des sacs de 50 kilos. Ces derniers seront ensuite expédiés dans une sucrerie qui les emploiera pour blanchir le sucre.
Le Kawah Ijen est sans nul doute un volcan hors norme. Dans cet antre où le soufre règne en maître, deux mondes se côtoient : les visiteurs désireux d’admirer la nature qui se donne en spectacle, et les “hommes forts de Java” qui jour après jour mettent leur santé en danger pour gagner de quoi nourrir leurs proches. Cette ambivalence fait du Kawah Ijen un lieu unique qui ne laisse personne indifférent.