Surnommé « la machine à remonter le temps » par les géologues, le Parc national du Grand Canyon en Arizona ne laisse personne indifférent par la beauté de ses précipices vertigineux et de ses paysages sauvages. En étudiant la géologie du Grand Canyon, il est possible de retracer 2 milliards d’années de l’histoire du site. S’étendant sur 445 km et d’une largeur pouvant varier de 500 m à 30 km, les dimensions des gorges du canyon fascinent les visiteurs depuis des générations. Mais quels éléments naturels ont formé le Grand Canyon et quand a-t-il été créé ? Que cachent les secrets du fleuve Colorado ? C’est parti pour un petit plongeon à travers les âges, dans les profondeurs de ces failles ancestrales…
Le berceau de la géologie du Grand Canyon
Le Grand Canyon livre l’histoire géologique de la Terre sur deux milliards d’années, dans l’État d’Arizona, à l’ouest du continent Nord-Américain. À l’époque, les États-Unis subissent un climat rude et hostile. Ils occupent un peu moins des deux tiers de leur surface actuelle. Après les périodes de glaciation du Protérozoïque, entre 2,5 milliards d’années et 542 millions d’années en arrière, le plateau du Colorado ressemble à une vaste étendue de chaînes de montagnes attaquées par la pluie, le vent et le gel. De nombreux volcans en activité modèlent le paysage en déversant des kilomètres cubes de lave.
La chaîne de montagnes située à l’ouest de l’Arizona, appelée « Schistes de Vishnu », culmine à 10 000 mètres d’altitude. Elle est constituée de schiste à quartz, de mica ainsi que d’un mélange de sable et d’argile métamorphisé. La transformation minérale d’une roche soumise à une forte pression et température s’appelle le métamorphisme.
Pourquoi ces roches, situées aujourd’hui à la base du Grand Canyon, ont-elles été ensevelies sous des mètres de roches de nature géologique différente ?
Les conséquences de la tectonique des plaques
L’immersion des terres du Colorado
Sous l’action des forces sismiques et de la tectonique des plaques, les blocs terrestres ont modifié leur contour et le niveau de l’eau a été modifié. Pendant des dizaines de millions d’années, plus de 8 mers primitives se sont succédées sur le site des montagnes de Vishnu et l’ensemble du Colorado. En novembre 2012, le géologue Karl Karlstrom, de l’université d’Albuquerque dans le Nouveau-Mexique, démontre que les strates les plus basses du Grand Canyon, vestiges des anciens sommets de Vishnu, sont datées de 1,7 milliards d’années. Par l’analyse d’un extrait de cette roche, le scientifique a observé une réaction géochimique : la présence de grenat à l’état transparent, révélant l’action d’une pression importante et continue.
La dernière mer du Crétacé
Entre – 90 et – 80 millions d’années avant notre ère, la dernière mer du Crétacé recouvre encore une grande partie de l’intérieur de l’Amérique du Nord malgré son aspect étroit et peu profond. Lorsqu’elle vient à se retirer, poussée par la dérive des continents, elle met à nu des vestiges d’espèces marines reposant au fond et sur les flancs des montagnes de Vishnu. Une grande quantité de sable et de boue s’agglutinent en couches successives et se transforment petit à petit en roche. Requins, tortues, huîtres et ammonites sont, aujourd’hui, fossilisés dans du schiste argileux.
Les montagnes de Vishnu, érodées par la mer, se retrouvent ainsi lentement ensevelies sous plusieurs couches de sédiments compactées sur plusieurs centaines de mètres de haut.
La modification du relief en Arizona
Il y a 65 millions d’années, la force de collision entre l’épaisse plaque océanique du pacifique, constituée de basalte et la plaque continentale Nord-Américaine granitique déclenche un bouleversement topographique :
- l’élévation du plateau du Colorado sur plus de 3000 m ;
- la formation de la chaîne des Rocheuses au Nord ;
- la formation des montagnes de Mogollon au Sud, destinées à s’aplanir par la suite.
Il en résulte alors le phénomène de subduction suite à cette collision : la plaque de plus forte densité “plonge” sous la plaque plus “légère”, comme c’est le cas la plupart du temps.
Les deux types de discordance du Colorado
Constituées d’un empilement d’une quarantaine de couches métamorphiques et sédimentaires, les parois du Grand Canyon sont comparables à un mille-feuille. La discordance angulaire a été identifiée par John Wesley Powell, directeur de l’USGS (Société de géologie des États-Unis) en 1869. C’est le phénomène qui se produit lorsque des couches de roches viennent se déposer sur d’autres couches géologiques plus anciennes pendant une orogenèse, autrement dit, la formation de nouvelles montagnes. Celles-ci déforment le plancher terrestre et provoquent une inclinaison des dépôts. Les sédiments sont d’abord dispersés par des courants marins et éoliens, puis se compactent sur le sommet d’une roche pour être transformés en grès.
On distingue deux ruptures majeures sur les flancs du précipice. La première, appelée « grande discordance », ne permet aujourd’hui aucune interprétation concernant la géologie du Grand Canyon à cause d’une absence de fossiles et donc une difficulté de datation. La seconde, remontant à -525 millions d’années, présente des strates horizontales taillées par l’érosion.
Suivant leur composition, elles arborent différentes couleurs : la teinte rouge présente, par exemple, un calcaire riche en oxyde de fer. Comme elles sont friables, ces différentes strates constituent une surface de ravinement, ou d’érosion subite, propice à la formation de canyon lors d’une inondation ou de fortes pluies, par exemple.
« Selon des études scientifiques portant sur la géologie du Grand Canyon, le précipice serait plus jeune que ce que l’on pensait auparavant. »
Les traces de discordance angulaire que l’on peut observer à certains endroits du canyon sont le résultat d’une lente accumulation de roches sédimentaires sur de la roche métamorphique après un soulèvement de ces massifs. La photo suivante montre la discordance angulaire entre les deux natures de roches, grignotées par l’érosion sur plusieurs centaines de millions d’années.
La formation des reliefs du Grand Canyon
La jonction de canyons
Selon des études menées par plusieurs géologues, dont Karl Karlstrom, et publiées dans la revue « Nature » en 2014, le Grand Canyon serait plus jeune que ce que l’on pensait auparavant. La méthode de thermochronologie, basée ici sur la teneur en hélium de la roche, permet d’affirmer qu’il a été creusé d’Ouest en Est. Des canyons indépendants se sont réunis à la manière d’un puzzle géant, sur différentes périodes.
Les traces actuelles de fission de l’apatite, minéral recouvrant les versants du Grand Canyon, ont permis cette technique de datation. En comparant les taux d’hélium et d’uranium des différents extraits de roche, les chercheurs ont pu déterminer des parties du canyon plus anciennes que les autres.
Les cinq grands canyons
On peut donc décomposer le Grand Canyon en 5 segments :
- les deux extrémités, Western Grand Canyon à l’Ouest, d’origine volcanique et Marble Canyon à l’Est sont âgés de 5 à 6 millions d’années ;
- les segments Hurricane et Mauv Gorge existent depuis 50 à 70 millions d’années ;
- Eastern Grand Canyon s’est formé il y a 25 à 15 millions d’années.
L’érosion a lentement élargi les gorges de 100 à 200 mètres par millions d’années, pour finir par les relier les unes aux autres et aboutir au Grand Canyon actuel.
L’affaissement des montagnes de Mogollon
Il y a 20 millions d’années, une poche de magma prisonnière à des kilomètres sous terre fait subir une pression extraordinaire à la croûte terrestre qui commence à s’étirer. En surface, le plancher se déforme et s’étire sous l’effet des tremblements de terre. Les montagnes de Mogollon, bordant une partie du Grand Canyon, s’élèvent et se tassent plusieurs fois avant de s’incliner sur elles-mêmes, comme des dominos. Surnommée la « province de Basin & Range » par les géologues, où se situe la Vallée de la mort, la région devient un vaste ensemble de cuvettes et de reliefs émergeant à basse altitude.
En s’affaissant, les montagnes se sont inclinées fortement : les différentes couches de roche de Mogollon, essentiellement du calcaire et du grès, se sont retrouvées dressées à la verticale et la topographie du secteur a changé. Ces mutations pourraient expliquer les variations de courant constatées dans les différentes rivières, aujourd’hui asséchées, du plateau du Colorado.
Les plus hautes parois du Grand Canyon sont celles du plateau de Kaibab. S’élevant à plus de 2 740 mètres au-dessus du niveau de la mer et constituées de roches âgées de 270 millions d’années, ce sont aussi les plus jeunes précipices. Avec le plateau de Coconino, les falaises du plateau de Kaibab constituent les contreforts de Mogollon. Elles sont aménagées pour le tourisme du fait de leur point de vue impressionnant sur l’étendue du Grand Canyon.
Le Colorado, un fleuve puissant
Le plateau du Colorado inondé
Il y a 70 millions d’années, le plateau du Colorado est recouvert d’eau originaire de la fonte des neiges et des pluies diluviennes. Cette dernière s’écoule du nord-est au sud-ouest en se frayant un chemin à travers les roches et emporte avec elle des blocs de pierres et de boue. Petit à petit, ses sillons s’élargissent et son courant gagne en puissance. Par endroit, le débit est comparable à celui de la rupture d’un barrage.
Les cours d’eau se ramifient en plusieurs rivières et torrents, parfois indépendants. Ils serpentent le plateau et ses falaises jusqu’à se jeter dans le Golfe de Californie.
Le Colorado a creusé le Grand Canyon
Le puissant fleuve Colorado et ses affluents ont façonné le canyon sur des profondeurs équivalentes à cinq fois la tour Eiffel, soit plus de 1 500 m par endroit.
En effet, pour donner au Grand Canyon son allure spectaculaire agrémentée de gorges et de précipices vertigineux, le pouvoir érosif de l’eau a joué un rôle capital. Les nombreux rapides du fleuve, sa forte pression et son importante élévation ont été déterminants dans sa progression. Sa pente chute de 3 mètres tous les 1600 mètres, tandis que le fleuve Mississippi (quatre fois plus large) prenant sa source à seulement 450 mètres d’altitude, ne descend que de 30 cm à distance égales.
Le type de roche est aussi important pour apprécier toute la dimension de l’érosion. La géologie du Grand Canyon révèle qu’il est composé majoritairement de calcaire et de grès, de nature friable. Le granite étant une roche dure, il montre plus de résistance face à l’eau, d’où la formation de roches étroites à certains endroits. À l’inverse, en présence d’une pierre tendre comme le schiste argileux, le canyon sera plus large.
Un fleuve qui érode et produit de la roche
S’il peut se comparer à un bulldozer pour sa force tempétueuse, le fleuve Colorado s’avère également capable de bâtir de nouvelles roches. L’eau s’écoulant à la base du canyon est saturée en dioxyde de carbone, issu des profondeurs de la terre. Rendue plus acide, elle dissout le calcaire de la pierre avant que le dioxyde ne s’échappe sous forme de bulles et ne donne naissance à un nouveau type de roche en carbonate de calcium. Nommée « travertin », elle recouvre tout ce qu’elle trouve sur son passage. C’est pourquoi, à certains endroits on peut observer des cascades pétrifiées où s’écoule une eau turquoise.
La Terre poursuivant son activité, il est possible que d’ici un ou plusieurs millénaires, ce spectacle vertigineux soit à nouveau transformé et les à-pics surélevés, inscrivant ainsi un nouveau chapitre sur la géologie du Grand Canyon. Terre sacrée des tribus indiennes, le parc est préservé en grande partie grâce à ses accès difficiles et escarpés. Cependant, les exploitations touristiques et industrielles entraînent l’assèchement des affluents du fleuve Colorado. Elles menacent la faune et la flore du site par des barrages hydrauliques, l’extraction d’uranium et la pollution générée par les hélicoptères.
Le parc national du Grand Canyon a été reconnu par l’Unesco en 1979, un an après le plus vieux parc national au monde : Yellowstone. Il gère les ressources et contribue à la protection écologique de ce lieu majestueux représentant l’une des sept merveilles naturelles du monde.