L’un des déserts les plus chauds de la planète, le Danakil, dans le triangle de l’Afar en Éthiopie, abrite un site géothermal particulièrement hostile, Dallol. Surgi en plein milieu de cette fournaise il y a quelques milliers d’années seulement, ce dôme de sel souvent désigné comme un volcan réunit des conditions extrêmes uniques au monde. Longtemps resté inaccessible en raison d’une guerre entre l’Éthiopie et l’Érythrée, Dallol est ouvert aux touristes attirés par ses eaux multicolores entourées de concrétions surprenantes. Ce patrimoine géologique exceptionnel est aujourd’hui en danger, menacé par l’industrie minière.
La naissance du dôme de sel dans le désert du Danakil
C’est grâce aux travaux d’une équipe de scientifiques franco-espagnols qui étudie le site depuis 2016 que nous en savons plus sur sa genèse. Le long du Rift est-africain, le Danakil se trouve à la jonction de trois plaques tectoniques dont l’activité a provoqué, il y a 6 000 ans, la fermeture d’un ancien bras de la mer Rouge. L’eau s’est alors évaporée, laissant une croûte de sel de deux kilomètres d’épaisseur, 120 mètres sous le niveau de la mer. Une poche de magma située à faible profondeur a produit le bombement de la surface et la formation d’un dôme de sel de trois kilomètres de diamètre et de 40 mètres de haut. L’épanchement de sel fondu a provoqué l’affaissement du sommet, lui donnant une forme de cratère et entraînant un dégazage toujours effectif. C’est le début d’une activité géothermique qui façonne encore le site aujourd’hui. Malgré la présence de magma, Dallol ne rejette aucun matériau volcanique, mais du sel et des fluides géothermaux. Ce n’est donc pas un volcan, contrairement à ce qui est souvent annoncé.
Dallol : un système géothermique complexe unique au monde
Suite à la formation de ce dôme, un système hydrothermal incomparable toujours en cours s’est mis en place. Les eaux de pluie s’infiltrent en profondeur sur le site et se chargent en sel, préalablement dissous par la chaleur du magma. Une fois arrivés en surface, les fluides hydrothermaux sont sursaturés en sel et en acides, c’est-à-dire qu’ils en contiennent plus qu’ils ne peuvent en dissoudre. Ils cristallisent alors à leur point de sortie sous forme de magnifiques concrétions et vasques aux couleurs vives.
D’autres structures géothermiques sont apparues aux alentours. Des dépôts salins se sont érodés et ont constitué de petits canyons. Deux petits dômes de sel ont fait surface : Round Mountain (montagne ronde) et Black Mountain (montagne noire). Le premier doit son nom à sa forme arrondie, le second à la couleur noire du sel, due à une forte teneur en hématite, un minerai de fer. Une explosion phréatique a créé le lac Noir en 1926. Un deuxième lac, le Gaet’ale ou lac Jaune, a été réactivé en 2005 après un tremblement de terre, mais on ignore sa datation exacte. C’est le lac le plus salé du monde avec 433 grammes de sel par kilogramme d’eau. Les interactions entre le magma, le sel et les eaux souterraines ne cessent de modeler le site.
La spécificité de Dallol vient du fait qu’il s’agisse du seul endroit du monde où coexistent trois paramètres extrêmes :
- L’hypersalinité : les niveaux de saturation en sels sont deux fois plus élevés que ceux de la mer Morte.
- L’hyperacidité : on mesure des pH considérablement bas, voire négatifs, à -1,5.
- Une température excessivement haute : les fluides hydrothermaux peuvent atteindre 110 °C à leur point de sortie.
D’autres endroits sur Terre connaissent une activité géothermique remarquable, comme Yellowstone aux États-Unis, mais Dallol est le seul à combiner les trois paramètres à la fois. À cela s’ajoute l’émission de gaz plus ou moins toxiques tels que des hydrocarbures, d’où la présence fréquente de nombreux cadavres d’oiseaux. Difficile de respirer dans cet enfer paradisiaque aux températures et à l’air étouffants !
Un nuancier de couleurs et de structures polymorphes étonnantes
Dallol regorge d’une grande variété de structures géothermiques et de bassins polychromes dus notamment à la précipitation saline et à la sursaturation des saumures, eaux déjà très fortement salées. En effet, lorsque l’eau s’évapore, la concentration en halite (ou sel gemme), le principal minéral du site, augmente encore plus et forme des précipités, les cristaux de sel.
Les sources déversent ces saumures hydrothermales bouillantes, dépourvues d’oxygène, hyperacides, riches en fer et sursaturées. Au contact de l’atmosphère, elles cristallisent et créent alors de petits cônes de sel autour de geysers actifs et de fumerolles (émissions gazeuses), ainsi que des piliers pouvant atteindre deux mètres de haut.
Au fur et à mesure que l’eau s’écoule des sources, les cônes de sel se regroupent pour former des terrasses de saumures acides. Le large éventail de couleurs est essentiellement lié à la forte concentration en fer des fluides. Lorsque le sel précipite à 110 °C, il a une belle couleur blanche. Puis, quand la température diminue, le soufre, présent principalement autour des fumerolles, se condense et donne une teinte jaunâtre. Ensuite, le fer s’oxyde et crée toute une gamme de verts et d’ocres jaunes, rouges, orange et brunes.
« Dallol est un musée d’art naturel où l’exposition change tous les jours » Juan Manuel García-Ruiz, cristallographe.
Le dynamisme du système géothermique de Dallol entraîne un environnement susceptible de se modifier en quelques heures seulement : des sources actives se désactivent tandis que d’autres émergent à des endroits distincts.
En cristallisant, l’halite produit une multitude de sculptures originales :
- Des formes semblables à des nénuphars dans les sources subaquatiques ;
- Des structures évoquant des fleurs dans les bassins inférieurs ;
- De fines croûtes en forme de coquille d’œuf ;
- Des tubes torsadés ;
- Des reliefs aux allures de champignons.
Un laboratoire naturel propice à la recherche de la vie
Étudier un site aussi extrême que celui de Dallol est utile pour comprendre comment la vie peut naître sur une autre planète que la Terre, notamment sur Mars. Si, pour l’instant, aucune forme de vie n’a été découverte dans les bassins les plus salés et les plus acides, certaines sources hydrothermales aux caractéristiques plus clémentes abritent des micro-organismes. Il s’agit essentiellement d’archées halophiles, extrêmophiles qui ont besoin de sel pour vivre.
Les résultats semblent donc varier selon la teneur en sel et selon le pH. Toutefois, d’autres études sont nécessaires pour confirmer l’absence de vie ou en détecter la présence dans les milieux les plus extrêmes. Dans le premier cas, cela signifierait que les conditions extrêmes de Dallol sont une limite à la vie, malgré la présence d’eau. Dans le second cas, cela impliquerait de comprendre comment la survie y est possible. Affaire à suivre !
Un site géologique et un peuple menacés par l’exploitation minière
En 2017, l’État éthiopien a conclu un accord d’exploitation de la potasse, minerai salin utilisé notamment comme engrais, avec de grandes compagnies internationales. L’exploitation minière du site n’est pas nouvelle. Au XXe siècle, des mines avaient été ouvertes et exploitées par les Italiens puis par les Américains. Elles ont fermé en 1967 en raison des risques d’inondations et des tensions politiques. Le futur pompage industriel autorisé par l’État risque d’assécher Dallol et de mettre en péril l’avenir des Afars, peuple nomade qui vit de l’extraction manuelle du sel depuis des millénaires. Pour sauver Dallol, les scientifiques espèrent son classement au patrimoine mondial de l’UNESCO.