Il existe encore sur notre planète des endroits difficiles à explorer. Pourtant, des individus sont animés par l’envie de découvrir les recoins les plus cachés de la Terre, comme les grandes profondeurs, afin qu’ils nous livrent leurs secrets. C’est le défi relevé par une poignée d’explorateurs lors d’expéditions à haut risque, dans le but d’atteindre le point le plus profond des océans : Challenger Deep.
Les différentes expéditions menées jusqu’à Challenger Deep
L’expédition pionnière
Le 23 janvier 1960, Don Walsh, lieutenant de vaisseau à l’US Navy, et Jacques Piccard, l’océanographe suisse, décident de s’aventurer dans la fosse des Mariannes, au point le plus profond des océans, situé à 10 994 mètres de profondeur. Cette zone, localisée dans l’océan Pacifique, à mi-chemin entre le Japon et la Nouvelle-Guinée, est appelée Challenger Deep.
La distance est difficilement mesurable étant donné l’importante profondeur du site. L’expédition est dangereuse, tant par sa grande distance (une distance bien plus élevée que l’Everest) que par la pression exercée par l’eau à cette profondeur, qui est 1 090 fois plus forte qu’à la surface.
C’est à bord d’un bathyscaphe, appelé le Trieste, qu’ils vont effectuer leur périlleuse descente durant cinq heures. Les deux explorateurs sont restés une vingtaine de minutes sur le plancher océanique, à 10 916 mètres de profondeur. Un problème technique les a forcés à remonter plus tôt que prévu. Les deux hommes ont été les premiers à réussir cet exploit. A l’époque, un véritable défi technique a été relevé.
Pour descendre jusqu’à une telle profondeur, Auguste Piccard appliqua le principe du ballon stratosphérique au bathyscaphe. Il fallait construire un sous-marin capable de résister à des pressions extrêmes, transportant assez d’équipements pour prélever des échantillons, éclairer les profondeurs obscures, et anticiper les risques de cette exploration à une telle profondeur.
L’objectif principal de la mission était de découvrir cet environnement extrême, jusqu’alors méconnu des scientifiques. Les fonds océaniques étaient notamment pressentis pour servir de zone de stockage pour des déchets nucléaires. Il aura fallu attendre plus de cinquante ans avant qu’un petit groupe d’homme ne relève à nouveau cette prouesse technologique.
Les expéditions contemporaines
Le 25 mars 2012, ce fut au tour de l’explorateur et réalisateur James Cameron de tenter l’aventure. En 2h30, il atteignit Challenger Deep à bord de son sous-marin, Deepsea Challenger, spécialement conçu pour réaliser ce nouvel exploit. Il resta trois heures durant sur le site avant d’entamer son retour vers la surface. Son but était d’être le premier homme à explorer ce site en solitaire. Il filma toute son expédition à l’aide de panneaux Led afin d’obtenir des images exploitables pour les scientifiques. Des images qui ont également servi à la réalisation du documentaire « Deepsea Challenge 3D ».
Grâce au matériel scientifique dont il disposait, il récolta plusieurs échantillons présents dans le fond de la fosse des Mariannes : des sédiments de la croûte terrestre et des roches environnantes. Il put mesurer d’autres paramètres tels que le niveau de pression, de salinité ou encore de températures.
Une autre expédition fut menée par Victor Vescovo, un riche investisseur américain et explorateur des fonds marins. Il s’est lancé le défi d’explorer les points les plus profonds des cinq océans, une exploration réussie qu’il nommera « Five Deeps Expedition ».
C’est le 28 avril 2019 qu’il bâtit le record de profondeur : 10 925 mètres. Il eut la chance de pouvoir rester quatre heures au fond de Challenger Deep avant de remonter à la surface. Cette exploration n’a pas seulement permis d’établir un record, mais aussi d’en apprendre plus sur l’environnement marin situé à une telle profondeur, grâce aux données récoltées in situ.
L’expédition du 10 novembre 2020, menée par la Chine à bord du Fendhouze, constituera un nouvel exploit : les images de l’environnement de Challenger Deep, à 10 909 mètres de profondeur, ont été retransmises en direct à la télévision chinoise. Les trois scientifiques présents à bord du bathyscaphe avaient pour objectif de récolter des échantillons biologiques et de cartographier avec précision le site grâce à un sonar. Leur autre mission était la recherche de métaux qui sont très présents dans la croûte terrestre océanique. Des métaux utilisés pour la fabrication de produits technologiques comme nos téléphones portables ou nos batteries.
Comment s’est créé le point le plus profond des océans ?
Challenger Deep est situé dans la fosse océanique des Mariannes. L’apparition de cette fosse remonterait à environ six à neuf millions d’années. Les fosses océaniques sont les parties les plus profondes des fonds marins et constituent la frontière entre deux plaques tectoniques. Elles se situent dans les zones de subduction, des zones où les plaques tectoniques se rencontrent et glissent très lentement l’une sous l’autre, jusqu’à s’enfoncer dans le manteau terrestre.
Dans la fosse des Mariannes, ce sont deux plaques tectoniques portant la croûte océanique qui se rencontrent. La plaque du Pacifique très dense (flèche rouge sur le schéma), glisse pratiquement à la verticale sous celle des Philippines, qui est plus petite et moins dense. C’est ce phénomène tectonique qui a créé des fosses océaniques aussi profondes dans tous les océans du globe.
La fosse des Mariannes n’est pas seulement un gouffre profond mais aussi une succession de monts et de vallées qui sillonnent le plancher océanique sur une longueur de plus de 2 540 km. Elle part du sud du Japon jusqu’à l’est des Philippines et des îles Mariannes, comprenant le territoire américain de Guam.
Les expéditions successives et les données récoltées à Challenger Deep, ont permis d’enrichir les connaissances scientifiques, tant dans les domaines géologique et océanographique, que dans celui de la biologie.
La vie est présente même à une telle profondeur
La première descente au Challenger Deep avait apporté des précisions sur les températures, confirmé l’absence de courants sous-marins ou de traces de radioactivité. L’expédition de Walsh et Piccard a permis de témoigner de la présence d’une vie sous-marine, même à une telle profondeur.
Grâce aux technologies avancées dont nous disposons aujourd’hui, les récentes expéditions menées à Challenger Deep ont été plus riches en informations. Grâce à des images vidéos, nous avons, par exemple, la preuve de la présence de concombres de mer, de vers et de crustacés dans la fosse des Mariannes. De plus, les échantillons de sédiments récoltés sur le site contenaient des centaines d’espèces différentes d’organismes unicellulaires appelés foraminifères. Certains de ces organismes marins étaient inconnus de la communauté scientifique.
Malgré la profondeur, la pression et l’obscurité, la vie est présente au fond de Challenger Deep, le point le plus profond des océans.
D’autres organismes connus résident également sur le site, comme de petits crustacés nommés amphipodes et plus précisément l’espèce Hirondellea gigas. Elle se nourrit de minuscules particules de débris organiques et minéralogiques qui tombent sous forme de neige marine, sur des milliers de kilomètres depuis la surface océanique. Cette espèce d’amphipode est cinq fois plus grande que les autres espèces répertoriées (6 000 espèces d’amphipodes sur Terre) qui généralement, ne dépassent pas la taille d’un centimètre de long. Ce phénomène zoologique de gigantisme des animaux des grands fonds est plutôt commun, mais encore inexpliqué.
Que la vie soit présente à un tel niveau de profondeur est difficile à croire puisque la lumière y est absente. En effet, dans l’océan, la lumière solaire disparaît totalement à partir de 1 000 mètres de profondeur. De ce fait, la photosynthèse est impossible, un processus pourtant nécessaire à la création d’énergie chimique pour le développement et à la survie de la plupart des espèces végétales, et notamment du phytoplancton qui s’épanouit dans l’océan.
L’ensemble des espèces qui évoluent dans les abysses se sont adaptées à leur environnement et sont capables de synthétiser des éléments chimiques dissous dans l’eau.
Le site de Challenger Deep n’est pas épargné par la pollution
Contre toute attente, le point le plus profond des océans est soumis à la pollution. Des échantillons récoltés dans les sédiments du sol révèlent la présence de microplastique, que l’on retrouve régulièrement dans les viscères des animaux marins. C’est bien la preuve que la pollution générée par l’homme arrive même à atteindre les endroits les plus difficiles d’accès.
Un sac plastique a notamment été retrouvé dans la fosse des Mariannes. Sa présence peut être justifiée par le fait que les déchets en surface transitent jusqu’au fond des océans par l’intermédiaire des courants marins. Une étude montre que certaines zones de la fosse des Mariannes contiennent un niveau de pollution plus important que certains cours d’eau chinois, connus pour être les plus pollués du monde.
La pollution de la fosse des Mariannes est aussi sonore. En effet, des sons ont été enregistrés à une telle profondeur comme des bruits de baleines ou encore des passages de bateaux. Les vibrations à l’origine des sons voyagent longuement et se répercutent dans la fosse qui fait office de caisse de résonance. Cette pollution sonore, émise pour l’essentielle par nos activités, peut perturber les espèces marines dans leur communication ou dans leur alimentation. Il est donc essentiel de limiter nos nuisances sonores dans le milieu marin.
En explorant le point le plus profond des océans, l’homme a réussi un défi technologique. Aujourd’hui, seule une poignée d’individus a pu explorer le site de Challenger Deep, alors que douze personnes ont marché sur la Lune. Les scientifiques possèdent plus de connaissances sur notre satellite naturel que sur les grands fonds marins de notre planète. Pourtant, ils ont encore beaucoup de choses à nous apprendre, car moins de 7 % d’entre eux ont été explorés à ce jour. On a découvert que malgré des conditions de vie difficiles, certaines espèces réussissaient tout de même à s’épanouir au fond des océans.