Les abysses sont l’un des endroits les plus hostiles de notre planète. Et pourtant quelle ne fut pas la stupéfaction des scientifiques qui découvrirent en 1977 sur le plancher océanique des sortes de structures semblables à des termitières : les cheminées hydrothermales ou « fumeurs noirs ». Il s’agit de l’une des découvertes marines et biologiques majeures du XXème siècle.
Des sources chaudes au fond des océans
Les fumeurs noirs sont le fruit de la rencontre de l’eau froide des océans et du magma présent sous la croûte terrestre. Ces structures ont été découvertes pour la première fois dans l’océan Pacifique par 2 630 mètres de fond, à proximité des îles Galapagos, par le submersible américain Alvin.
On sait désormais que les sources hydrothermales sont présentes dans tous les océans du globe, tout particulièrement au niveau des dorsales et des rifts océaniques, c’est-à-dire là où le plancher océanique se fissure et s’écarte pour laisser remonter le magma en fusion.
Les évents hydrothermaux se forment lorsque l’eau s’infiltre dans le plancher océanique par des fissures ouvertes par l’étirement du plancher océanique. Elle pénètre sur plusieurs kilomètres avant d’être expulsée sous forme de panaches de fumées, atteignant parfois 200 mètres de hauteur. Chauffée à plusieurs centaines de degrés, l’eau de mer ne peut pas bouillir à cause de l’immense pression qui règne dans ce milieu extrême.
Certains minéraux présents dans l’eau surchauffée précipitent et forment une croûte minéralisée pouvant atteindre jusqu’à 10 mètres de hauteur. Les évents peuvent grandir de 30 cm par jour et finissent par refroidir au bout de quelques années ou décennies tandis que la nouvelle croûte océanique s’étend de part et d’autre du rift.
Deux types de cheminées hydrothermales ont été identifiées, à savoir les « fumeurs noirs » dont les particules éjectées de zinc, de fer et de cuivre forment des structures de couleur sombre. Les « fumeurs blancs » plus clairs, sont plus froids et se forment à partir de calcium et de silicium.
Les cheminées hydrothermales les plus profondes et les plus chaudes découvertes à ce jour sont situées dans la fosse des Caïmans par 4 960 mètres de fond, dans la mer des Caraïbes, au large de la Jamaïque et des îles Caïmans. Baptisée la zone de Beebe Vent Field, la température peut atteindre les 450°C.
Des oasis de vie dépourvues de lumière et d’oxygène
En dépit de l’absence totale de lumière, d’oxygène et des températures extrêmes, les scientifiques ont tout de même découvert que ces structures hydrothermales sont colonisées par une importante vie marine.
On y trouve notamment des espèces inconnues jusqu’alors, comme des vers, des palourdes, des moules, des petits crabes ou encore des crevettes blanches. Toutes ces espèces font partie d’une chaîne alimentaire complexe basée sur des bactéries et des micro-organismes qui se nourrissent et tirent leur énergie de divers éléments chimiques dissous dans les fluides hydrothermaux. Un procédé connu sous le nom de chimiosynthèse.
À ce jour, environ 600 espèces ont été décrites sur la centaine de sites hydrothermaux explorés dans l’océan mondial. On trouve 10 000 à 100 000 fois plus de matière vivante au mètre carré à proximité des cheminées hydrothermales que dans le reste des abysses. Toutefois la biodiversité observée à proximité de la dorsale médio-atlantique diffère légèrement de celle de la dorsale Pacifique.
Les fumeurs noirs pourraient être le berceau de la vie sur Terre. Dépourvus de lumière et d’oxygène, les organismes vivants synthétisent des composés chimiques présents dans les fluides hydrothermaux.
Les moules et les crevettes aveugles de la dorsale Pacifique renferment des bactéries qui se nourrissent elles-mêmes de composés d’hydrogène sulfuré présents dans les fluides hydrothermaux.
Certains vers des fumeurs noirs du Pacifique – comme le ver tubicole géant qui peut atteindre jusqu’à 2 mètres de long – ont la capacité de produire de l’hémoglobine qui leur permet de respirer et de fixer les sulfures. Des composés chimiques mortels pour la plupart des organismes vivants. Le sulfure de fer permet notamment de convertir l’hydrogène et le dioxyde de carbone présents dans l’eau en molécules organiques.
Le « ver de Pompéi » – découvert par des scientifiques français à proximité de la dorsale du Pacifique oriental – est capable de construire un tube calcifié dans lequel il se réfugie pour se protéger de la chaleur extrême. La température au fond du tube atteint tout de même les 80°C, ce qui fait du « ver de Pompéi » l’animal extrémophile le plus résistant à la chaleur.
Les biologistes ont émis l’hypothèse que ces formes de vie extrémophiles pourraient être similaires aux premières formes de vie apparues sur la Terre primitive. Les mares de boue et les sources hydrothermales terrestres, situées à proximité des zones volcaniques, sont aussi de potentielles candidates à l’origine de l’éclosion de la vie. Le secret de la vie sur Terre reste encore à élucider.
La découverte et l’étude des fumeurs noirs ont prouvé que la vie pouvait évoluer au sein d’écosystèmes extrêmes et complexes. Les océanographes estiment qu’à ce jour moins de 7% de l’océan mondial a été exploré. Alors que 12 personnes ont marché sur la Lune, seulement trois ont atteint le point le plus profond des océans : Challenger Deep situé à 10 994 mètres de profondeur dans la fosse des Mariannes au fond de l’océan Pacifique. La conquête des fonds marins ne fait que commencer !