L‘Amazonie est actuellement en proie à plusieurs incendies devenus incontrôlables qui ont déjà ravagé plusieurs milliers d’hectares. L’année 2019 connaît un nombre record de départs de feux depuis 2012. La sécheresse n’est pourtant pas plus importante que les années précédentes affirment les scientifiques. L’augmentation notable du nombre d’incendies en Amazonie cette année est la conséquence principale de l’augmentation de la déforestation et la pratique des cultures sur brûlis qui ont largement augmenté au premier semestre 2019.
Des incendies records
Les satellites de la NASA confirment une augmentation du nombre des incendies en Amazonie en 2019, qui fait suite à deux années consécutives de baisse et qui représente un nouveau record depuis 2012. Les incendies sont également plus intenses que les années précédentes comme en témoignent les capteurs satellites qui sont capables de déceler les aérosols (gaz) présents dans l’atmosphère et issus des incendies.
Le Brésil est le pays le plus touché par les feux de forêt, suivi par le Venezuela, la Bolivie et le Paraguay. Le système de surveillance de l’Institut national de recherche spatiale (INPE) qui observe l’évolution de la forêt brésilienne a enregistré 75 336 départs de feux de forêt dans le pays, de janvier au 21 août 2019. Ainsi, les incendies au Brésil ont connu une hausse de 83 % par rapport à la même période de 2018. L’INPE a enregistré une destruction de 4 699 kilomètres carrés cette année, contre 2 810 kilomètres carrés au cours de la même période précédente. 80% de ces incendies de forêts se sont produits en juillet. L’état du Mato Grosso dans le centre ouest du pays qui interdit pourtant les feux agricoles du 15 juillet au 15 septembre est l’un des états les plus touchés avec 13 682 départs de feux recensés, soit une augmentation de 39% par rapport à 2018. Le service de surveillance de l’atmosphère de Copernicus (CAMS) confirme que l’activité moyenne d’incendies dans les états brésiliens de Rondônia et d’Amazonas a augmenté par rapport aux données récoltées au cours des 15 dernières années.
Des incendies près des zones agricoles
La saison des feux dans le sud de l’Amazonie s’étend de juin à novembre, pendant la saison sèche, avec une activité maximale en septembre le long des frontières est et sud de la forêt amazonienne, une bande parfois appelée « arc de déforestation ».
La carte ci-dessous met en évidence les anomalies thermiques liées aux incendies actifs au Brésil entre le 15 et le 22 août 2019, observées par les capteurs MODIS des satellites Terra et Aqua de la NASA.
Les emplacements des incendies, indiqués en orange, ont été superposés aux images nocturnes. Les villes et villages apparaissent en blanc, les zones boisées apparaissent en noir, et les savanes tropicales et les terres boisées (connues au Brésil sous le nom de Cerrado) apparaissent en gris. Notez bien que chaque point de la carte ne correspond pas nécessairement à un incendie au sol mais à plusieurs anomalies thermiques qui peuvent survenir le long d’un même front d’incendie. Vous pouvez retrouver l’ensemble des foyers des incendies actifs au cours des dernières 24 heures, et jusqu’à 7 jours, sur le site de la Fire Information for Resource Management System (FIRMS) de la NASA.
Les départs d’incendies se font principalement le long des grands axes routiers et au cœur des zones agricoles qui parsèment l’Amazonie, notamment en Bolivie et dans les états brésiliens de Rondônia, d’Amazonas, de Para et du Mata Grosso. L’image satellite de la NASA prise le 11 août 2019 confirme que les foyers des feux de forêts se concentrent dans les zones agricoles (en beige) où en lisière des terres boisées.
Des incendies liés à la hausse de la déforestation en 2019
L’emplacement des départs de feux, au début de la saison sèche sont plus compatibles avec le défrichement des terres plutôt que de la sécheresse qui n’est d’ailleurs pas plus importante que les années précédentes. Paulo Moutinho, chercheur à l’Institut de recherche environnementale sur l’Amazonie (IPAM) explique : « Historiquement, les incendies sont liés à l’avancée de la déforestation, conjuguée à des périodes de saison sèche intense. Mais en 2019 nous n’avons pas une sécheresse aussi sévère que lors des années précédentes, or il y une hausse substantielle des incendies. Tout indique donc que la saison sèche n’est pas du tout le facteur prédominant. S’il y avait eu plus de sécheresse, cela aurait été bien pire. »
La hausse dramatique des incendies en Amazonie est donc la conséquence principale de l’augmentation de la déforestation depuis le début de l’année 2019. La déforestation au Brésil a bondi de 67 % au cours des sept premiers mois de l’année, par rapport la même période l’année dernière, une année record depuis 2013. En juillet, la déforestation a été quasiment quatre fois supérieure au mois de juillet 2018 selon l’INPE, soit un bond de 278% ! Entre janvier et juillet 2019, pas moins de 4 699 kilomètres carrés de forêt tropicale ont été rayés de la carte, contre 2 810 kilomètres carrés en 2018. « Ce à quoi nous assistons [NDLR : les incendies] est la conséquence de l’augmentation de la déforestation révélée par les chiffres récents », détaille Ricardo Mello, du programme Amazonie du Fonds mondial pour la Nature-Brésil.
La plupart des incendies en Amazonie sont allumés par les cultivateurs et les éleveurs pour transformer les aires forestières en zones dédiées à la culture du soja et à l’élevage bovin, ouvrir de nouvelles pistes ou pour nettoyer les zones de pâturage déjà déboisées, généralement pendant la saison sèche. Selon les médias locaux, dans l’état du Para, par exemple, une hausse des feux de forêt a été enregistrée suite à un appel des agriculteurs à une « journée du feu », le 10 août 2019.
Aujourd’hui 80% de la déforestation en Amazonie est imputable à l’agriculture et à la pratique de la culture sur brûlis, pratique qui consiste à retirer dans un premier temps le bois d’œuvre puis à brûler le reliquat de végétation. Une technique le plus souvent utilisée dans la déforestation illégale. « La saison sèche crée les conditions favorables à l’utilisation et à la propagation des incendies, mais allumer un feu est l’œuvre de l’homme, délibérément ou par accident. » précise Alberto Setzer de l’INPE.
Les incendies en Amazonie sont la conséquence de l’augmentation de la déforestation au premier semestre 2019 qui a bondi de 67% par rapport à 2018
Le manque de prévention, de précaution et les déboisements illégaux font que les incendies deviennent souvent incontrôlables et se propagent à des zones de la forêt plus sèches qui ne sont pas destinées à brûler, des zones parfois protégées par les gouvernements.
Depuis les années 60, la forêt connaît une déforestation rapide et a perdu 17% de sa superficie en l’espace de 50 ans, soit l’équivalent de la surface du territoire français. 95% de la déforestation, la plupart du temps illégale, a lieu à moins de cinq kilomètres de axes routiers et à moins d’un kilomètre des rivières navigables. Rappelons que les départs d’incendies au début de la saison sèche en Amazonie se produisent au sein, où au contact des zones agricoles défrichées. Des surfaces cultivées qui s’articulent elles-mêmes en forme « d’arêtes de poissons » de parts et d’autres des axes routiers, pistes forestières et autres infrastructures humaines.
Conséquences des incendies et de la déforestation
Ces incendies provoquent bien sûr une accélération de la perte de biodiversité en détruisant l’habitat de nombreuses espèces animales. La forêt amazonienne est d’autant plus précieuse qu’elle abrite à elle seule 50% du vivant présent sur notre planète.
Les incendies entraînent également des problèmes de santé en propageant des nuages de fumées toxiques qui provoquent des problèmes respiratoires. Un nuage de fumée de 3 millions de kilomètres carrés recouvre actuellement l’Amérique du sud. Certaines de ces fumées, portées par les vents dominants, ont d’ailleurs atteint et recouvert la ville de Sao Paulo – un phénomène déjà observé en 2010 et 2017 – pourtant située à des milliers de kilomètres des fronts d’incendies.
Selon le service de lutte contre le réchauffement climatique Copernicus de l’Union Européenne, les incendies en Amazonie ont entraîné une nette augmentation des émissions de monoxyde de carbone (CO) ainsi que des émissions de dioxyde de carbone (C02) qui réchauffent la planète, une menace pour la santé humaine et un facteur aggravant du réchauffement de la planète.
La déforestation contribue en effet au réchauffement climatique, car elle est responsable de 20 à 25% des émissions globales de dioxyde de carbone (CO2). Lorsque la forêt est défrichée, les arbres coupés libèrent le carbone qu’ils renferment sous forme de gaz à effet de serre, notamment en cas de défrichement par le feu. Ainsi, le Brésil figure parmi les plus grands émetteurs mondiaux de gaz à effet de serre de la planète.
La forêt amazonienne remplit aussi un rôle majeur dans la régulation des précipitations en Amérique du sud et du climat au niveau mondial. L’eau qui est absorbée par les arbres s’évapore et crée de la vapeur d’eau. Des nuages se forment et engendrent des précipitations qui procurent à la forêt amazonienne son climat tropical. La déforestation enraye ce processus et prive l’atmosphère de cet effet rafraîchissant, ce qui accentue le réchauffement climatique. Si la déforestation se poursuit au rythme actuel la moitié de la forêt amazonienne pourrait se transformer en paysage désertique d’ici 2050.
Alors que le Brésil vient de faire appel à l’armée pour lutter contre ces incendies d’une ampleur inédite, l’État doit intensifier son combat afin de sensibiliser les agriculteurs sur leurs pratiques désastreuses, lutter contre les incendies agricoles illégaux et décourager simplement la déforestation, notamment à travers le travail de sensibilisation des ONG et des organismes environnementaux. Mais l’ensemble de ces stratégies sont malheureusement entravées par la crise économique dans le pays et les nouvelles coupes budgétaires environnementales prises par le nouveau président brésilien, ouvertement climatosceptique et favorable au développement de l’agriculture déraisonnée et de l’exploitation minière.
Article très intéressant, auquel je me permettrais d’ajouter une nuance : s’il est vrai que les spectaculaires incendies en Amazonie se révèlent particulièrement problématiques, il peut être intéressant de les comparer aux incendies sur le continent africain, régulièrement passés sous silence malgré leur importance. Si le phénomène est « habituel », les incendies liés à la culture sur brûlis ont débuté plus tôt cette année. Là-encore, il faudrait permettre à la population locale de s’informer sur l’impact de ces pratiques, et lui donner les moyens de cultiver autrement.