Comment une île volcanique peut-elle surgir de l’océan en seulement quelques jours ? La formation de l’île de Surtsey, au sud de l’Islande, illustre à merveille la puissance créatrice et destructrice des volcans. En novembre 1963, une éruption sous-marine spectaculaire donne naissance à une nouvelle terre : Surtsey. Les scientifiques assistent jour après jour à la naissance d’un volcan et d’un écosystème insulaire. Ce phénomène géologique exceptionnel met en évidence des processus complexes : rencontre explosive entre le magma et l’eau de mer, éruptions phréato-magmatiques, élévation d’un édifice volcanique, coulées de lave consolidant la structure et façonnage par l’érosion. Comment s’est formée l’île de Surtsey ? Quelles étapes ont permis son émergence ? Pourquoi est-elle devenue un site scientifique protégé ? Au-delà de son intérêt géologique, Surtsey constitue également un site d’observation privilégié pour comprendre la colonisation biologique d’une île vierge : mousses, oiseaux marins et sédiments enrichissent peu à peu ce sol volcanique. Aujourd’hui classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, Surtsey demeure un témoin rare de la rencontre entre le feu et l’océan, où géologie et biodiversité s’entrelacent.
Quel phénomène est à l’origine de la formation de l’île de Surtsey ?
L’activité des volcans entraîne parfois des bouleversements profonds dans les paysages terrestres et sous-marins. Surtsey en est un exemple révélateur. Cette île islandaise relativement récente d’un point de vue géologique s’est formée suite à une éruption volcanique intense et singulière.
Un contexte de forte activité volcanique en Islande
L’île de Surtsey se situe dans l’océan Atlantique, à 32 kilomètres au sud de l’Islande. Cette nouvelle terre, qui a commencé à se former à la suite d’une éruption volcanique sous-marine en 1963, est venue agrandir l’archipel des îles Vestmann. Sa formation s’inscrit dans un contexte particulier, le volcanisme en Islande étant effectivement très actif. Plus d’une trentaine de systèmes volcaniques actifs sont recensés. Cette prédisposition est due notamment à la position du pays sur un relief sous-marin appelé la dorsale médio-atlantique (située au milieu de l’Atlantique et dans l’océan Arctique). Les volcans Eldgjá, Hekla, Eldfell et Fagradalsfjall ont notamment marqué le passé volcanique de l’Islande.
Le cas particulier de Surtsey
L’épisode volcanique de Surtsey se décrit comme une éruption dynamique. Il s’agit d’un modèle éruptif courant se caractérisant par un mouvement de magma et une présence de gaz sous pression. Cependant, ce qui rend le cas de Surtsey plus exceptionnel est le fait que l’éruption ait lieu à 130 mètres sous le niveau de la mer dans une eau glaciale. Le déroulement de l’éruption a pris une tournure spéciale. L’observation de l’événement a permis aux scientifiques de mieux comprendre la formation des différentes îles de l’archipel Vestmann. Elle leur a également donné l’occasion d’étudier un type d’éruption volcanique peu courant, qui se produit lorsque le magma entre en contact direct avec l’eau de mer. Ce type d’éruption, observé pour la première fois à Surtsey, est désormais reconnu comme un mode éruptif spécifique, appelé « surtseyen », et sert de référence pour décrire des éruptions similaires sur d’autres volcans dans le monde.
Dans le cas précis de Surtsey, la pression de l’eau ne permet pas à la lave d’exploser ou de former des coulées comme dans une éruption classique. Le magma s’accumule au sommet du volcan, formant une montagne sous-marine aplatie appelée tuya. Cette formation est courante en Islande et au Canada, mais Surtsey reste le tuya sous-marin le mieux conservé au monde. Sous l’effet du choc thermique entre une lave à environ 1 000 degrés et une eau proche de zéro, des explosions s’enchaînent provoquant la fragmentation des roches propulsées et la vaporisation d’eau. Un panache volcanique fait de vapeur d’eau, de gaz et de cendres jaillit à plusieurs milliers de mètres d’altitude. La succession des explosions entraîne une accumulation de débris autour de la cheminée et fait grandir le volcan jusqu’à atteindre la surface de l’eau. L’activité du volcan se poursuit alors en phase aérienne.
La formation de la plateforme constituant l’île
L’éruption volcanique donnant naissance à Surtsey a pris fin en 1967. Les dépôts de lave et de téphras (fragments de roches rejetées par le volcan) ont recouvert une superficie de 2,65 m2 et une altitude de 173 mètres. L’érosion engendrée par les vagues et les vents a réduit la taille de Surtsey. De même, la compaction des couches sédimentaires a fait baisser l’altitude. En 2008, l’île ne représentait plus que 1,41 m2 de superficie et s’est abaissée à 155 mètres de hauteur. À partir de cette date, le phénomène érosif a perdu de sa force et les dimensions actuelles restent relativement stables.
D’autres volcans de l’archipel des îles Vestmann entrèrent en éruption durant la même période, formant eux aussi des plateaux rocheux. Cependant, aucun ne parvint à résister à l’intensité du mouvement érosif. Seule Surtsey survécut, probablement grâce à l’énorme quantité de matériaux volcaniques rejetée lors de l’éruption.
Quelle est la chronologie de la formation de Surtsey ?
Des prémices à la formation d’une terre émergée vierge, en passant par les manifestations spectaculaires d’une éruption volcanique unique en son genre, les Islandais ont assisté en direct à toutes les étapes de la naissance de l’île de Surtsey.
Novembre 1963 : les signes avant-coureurs de l’éruption volcanique
Les premiers indicateurs d’une activité volcanique dans l’archipel des îles Vestmann sont apparus une semaine avant le début de l’éruption qui a eu lieu le 10 novembre 1963. Des secousses sismiques (trémors volcaniques), une eau anormalement chaude et des odeurs de soufre alertèrent la population locale. Ces indices sont classiques dans un événement volcanique et s’expliquent facilement. Les tremblements de terre sont dus à la pression du magma qui se frayait un passage à travers les fissures de la croûte terrestre. L’augmentation de la température, quant à elle, est liée à la fusion de la roche au cœur du volcan. En ce qui concerne l’odeur, semblable à celle d’un œuf, elle était provoquée par les gaz riches en sulfure d’hydrogène qui s’échappaient des fissures ouvertes sous l’effet de la pression. L’ensemble de ces signes précurseurs fournissent aux scientifiques et aux autorités des indices précieux. Ils leur permettent d’anticiper une éventuelle éruption et de limiter les risques volcaniques.
Du 10 au 14 novembre 1963 : l’entrée en éruption du volcan
L’éruption qui a provoqué la formation de l’île de Surtsey a débuté à 130 mètres de profondeur. Des explosions se sont produites sous la pression de l’eau, et les roches brisées se sont accumulées peu à peu jusqu’à former une masse qui a atteint rapidement la surface de l’océan. Les explosions se sont poursuivies au-dessus du niveau marin et sont donc devenues visibles. Le 14 novembre 1963, un immense panache de fumée de 45 mètres de haut marqua le début d’une longue période d’activité volcanique qui modifia littéralement le paysage islandais en créant une nouvelle île.
Du 15 novembre 1963 au début avril 1964 : explosions successives et formation d’un plateau rocheux
Les fragments de roches projetés par le volcan se sont accumulés en continu autour de la cheminée volcanique. Malgré le déferlement des vagues qui a emporté une partie des dépôts, une couche importante de matériaux volcaniques a tout de même fini par se former. Grâce à la quantité massive de matériaux éjectés et à la puissance des projections de lave, une véritable plateforme parvint à émerger au-dessus du niveau de la mer. Le 24 novembre 1963, l’île ainsi modelée atteignait les 900 mètres de long et les 650 mètres de large. L’altitude du volcan a atteint 1300 mètres à son apogée en 1964. Le 31 janvier 1964, la lave cessa de jaillir du premier cratère, mais l’éruption du volcan se poursuivit sur un second foyer, plus à l’ouest. Le nouveau cratère fusionna alors en partie avec la première bouche éruptive.
À partir d’avril 1964 : le volcan bascule dans une phase d’éruption effusive
Au 4 avril 1964, les scientifiques estimaient que le volcan était entré dans une phase d’éruption aérienne. Dès lors, l’activité est devenue plus effusive, se rapprochant d’une éruption de type hawaïen, c’est-à-dire caractérisée par l’émission d’une lave fluide provoquant des coulées de lave de plusieurs kilomètres. Une couche de lave s’est déposée sur le soubassement rocheux de l’île, le consolidant et le protégeant de l’érosion causée par les vagues. L’éruption effusive va durer plus d’un an. Au fil du temps, les éruptions sont devenues de plus en plus espacées pour prendre fin le 5 juin 1967. L’érosion, particulièrement intense au début, a progressivement façonné l’île avant de se stabiliser autour de 2008.
60 ans après l’éruption, qu’est devenue Surtsey ?
L’île de Surtsey s’est transformée année après année, donnant naissance à une terre vierge, riche en biodiversité et servant de laboratoire à de nombreux biologistes. Le processus de colonisation des espèces végétales et animales intrigue en effet les zoologistes et les botanistes. Cet écosystème, exempt de toute présence humaine, a été successivement classé réserve naturelle et inscrit au patrimoine mondial de l’humanité.
Un paysage insulaire qui s’est modelé au fil du temps
La structure de l’île est principalement constituée de lave, mais elle comprend également des matériaux remaniés, provenant des téphras et du loess déposés par les vents. On y retrouve également de nombreux sédiments issus de l’érosion, ainsi qu’une grande variété de cristaux et de minéraux. Ces derniers se sont formés soit par des réactions chimiques, soit par le refroidissement et le dégazage progressif de la lave.
Quant au relief de l’île, il est plutôt accidenté, mais peu élevé avec une moyenne globale de 40 mètres de haut. La surface se présente comme un plateau incliné, bordé de falaises mesurant de 20 à 80 mètres de hauteur selon l’exposition aux vents et aux vagues. Les traces du volcan sont encore bien présentes : on y aperçoit deux demi-cratères ouverts. L’un culmine à 141 mètres et l’autre à 135 mètres.
Le peuplement de l’île par de nombreuses espèces animales
Alors que la lave continuait à jaillir du cratère, les premiers signes de vie faisaient déjà leur apparition. Deux semaines après le début de l’éruption, les mouettes tridactyles sont venues s’installer sur l’île pour pondre leurs œufs. De nombreuses variétés d’insectes ne tardèrent pas à coloniser l’endroit. Les eaux poissonneuses des alentours attirent de nombreuses sortes d’oiseaux. Ces derniers apportent eux-mêmes sous leurs pattes ou dans leur plumage quelques invertébrés. Petit à petit, se met en place un écosystème unique sans aucune intervention humaine. On compte désormais 89 espèces différentes d’oiseaux et 335 d’invertébrés. Parmi les plus grandes colonies de volatiles présentes sur l’île, se sont installées les mouettes, les goélands, les guillemots et les macareux. Quant aux invertébrés, ce sont les arthropodes, caractérisés par un corps segmenté comme les scarabées, les mouches ou les charançons, qui sont les plus nombreux.
Observer la formation de l’île de Surtsey, c’est comprendre le volcanisme islandais, l’émergence d’un écosystème et la fragilité d’un patrimoine naturel classé au patrimoine mondial de l’Unesco.
Une grande diversité de la végétation
La végétation colonise l’île de Surtsey dès le départ. Les déjections et les cadavres des oiseaux fertilisent le sol. Les invertébrés, notamment ceux qui vivent dans le sol, permettent l’ameublissement des débris de surface. Les oiseaux jouent aussi un rôle essentiel dans le développement d’une flore riche et diversifiée. En effet, ils transportent, accrochées à leur plumage, des graines provenant des plantes des autres îles islandaises. Une fois déposées sur le sol vierge de Surtsey, ces graines contribuent à l’ensemencement et à l’implantation progressive de la végétation. À cela, il faut ajouter la richesse du sol, due à l’apport de nutriments durant l’activité éruptive du volcan (cendres volcaniques notamment), et des conditions météorologiques favorables au développement des végétaux. Parmi les espèces végétales présentes sur l’île se trouvent beaucoup d’espèces de lichens et de mousses. Le seigle de mer, la mertensie maritime, le pourpier de mer et la sagine se sont particulièrement bien installés sur ce bout de terre immergé au large de l’Islande.
Un écosystème préservé et classé
Afin de préserver cet écosystème riche et unique, les autorités islandaises ont rapidement décidé, dès 1965, de classer le site en réserve naturelle. Toute activité humaine est proscrite. Seuls des points d’observation pour les scientifiques et les biologistes ont été construits. Surtsey est devenu un véritable laboratoire à ciel ouvert et donne l’opportunité à des spécialistes de tous secteurs (géologie, volcanisme, botanique, zoologie) d’étudier et de mieux comprendre certains phénomènes naturels.
L’inscription au patrimoine mondial de l’humanité prendra un peu plus de temps. Il a fallu attendre 2008 pour que la demande de classement à l’UNESCO soit acceptée. Afin de garantir l’efficacité de cette mesure de préservation, la classification ne concerne pas uniquement l’île elle-même. Elle inclut également les zones environnantes, formant ainsi une zone tampon destinée à limiter toute influence extérieure sur cet écosystème fragile. Cette reconnaissance s’inscrit dans un effort plus large de protection des sites volcaniques. Dans ce cadre, la région du Krakatoa en Indonésie, seul volcan ayant un mode d’éruption similaire à celui de Surtsey, a elle aussi été inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Les menaces qui pèsent sur la préservation de Surtsey
Comme tout écosystème, le site naturel de Surtsey est fragile. De nombreux dangers potentiels menacent l’intégrité de l’île.
Parmi les risques les plus probables figurent :
- l’érosion : les vents et les vagues sont très actifs dans la région ;
- la pollution de l’air et de l’eau ;
- le réchauffement climatique ;
- les dépôts de déchets flottants qui viennent souiller les côtes ;
- l’exploitation des ressources halieutiques ;
- une nouvelle éruption.
Afin d’éviter toute perturbation supplémentaire, le tourisme est interdit sur l’île. Toutefois, des excursions en bateau, au plus près du volcan, ainsi que des survols avec de petits avions sont possibles. Les voyageurs peuvent alors distinguer les deux cratères qui ont pris le nom de Surtungur et de Surtur, ou encore les amoncellements de débris basaltiques laissés par l’impressionnante éruption du volcan.
La formation de l’île de de Surtsey possède tellement de particularités que l’endroit a acquis une certaine notoriété internationale. Dès sa formation, l’île de Surtsey a éveillé un vif intérêt parmi les scientifiques, tant pour sa formation volcanique rare que pour sa biodiversité unique. L’île de Surtsey, qui agrandit l’Islande et suscite fascination et protection internationale, reste fragile et exposée à de nombreux risques. Une nouvelle éruption volcanique reste possible et pourrait anéantir toute forme de vie présente sur l’île.