Les arbres sont de véritables témoins de notre passé. Les méthodes de datation des individus forestiers ont participé à retracer les récits de notre planète. En effet, leur étude a fortement contribué aux recherches sur les variations climatiques ou encore la datation des sites archéologiques. À travers ces travaux historiques, des scientifiques ont découvert des spécimens âgés de plusieurs milliers d’années. Quels sont les plus vieux arbres du monde ? Où se trouvent-ils ? Comment déterminer l’âge de ces ancêtres verts ? Quels sont leurs secrets de longévité ? Partons à la rencontre de ces espèces végétales millénaires qui défient le temps.
Déterminer l’âge d’un arbre sans le couper
L’apparence du tronc, de l’écorce et des racines
On associe souvent l’âge d’un arbre à sa morphologie. Par exemple, plus son tronc est imposant et plus il aurait vécu. Cette généralité est ancrée chez la plupart des personnes et pourtant elle est complètement fausse ! Pour illustrer ce constat, le dendrochronologue Patrick Gasmann a comparé les courbes de croissance du tronc de deux chênes, situés en Suisse. L’arbre de Perreux a atteint une circonférence de 3,5 m en 450 ans, tandis qu’à une cinquantaine de kilomètres, celui de Gampelen l’a dépassé à 120 ans.
Si l’on veut des indices visuels pour connaître l’âge des arbres, leur écorce, leur cime et leurs racines exposées sont des indicateurs plus justes. Par exemple, le bois des plus vieux conifères, en milieu semi-aride, est souvent fissuré, tordu, irrégulier, voire creux. Évidemment, ces indicateurs morphologiques apportent une réponse très approximative sur la longévité de ces individus forestiers. Alors quelles méthodes fiables permettent de déterminer l’âge d’un arbre ?
La science de la dendrochronologie
Compter les cernes de croissance
Tout d’abord, la dendrochronologie correspond à l’étude des cernes de croissance d’un arbre, dans le but de calculer son âge. Cette technique de datation a été pensée par l’astronome américain Andrew Ellicott Douglass, au début des années 1990. En principe, chaque cerne correspond à une année vécue par l’individu. Pour cela, les scientifiques réalisent un forage au niveau de son tronc. Puis, ils prélèvent un cylindre de bois, de quelques millimètres de diamètre, allant de l’écorce jusqu’au cœur de l’arbre. La dendrochronologie a pour avantage de ne pas abîmer l’individu forestier.
Cependant, le comptage des cernes de croissance sous-estime le nombre d’années vécues par les feuillus. En effet, les experts éprouvent généralement des difficultés à atteindre le centre de l’arbre, et donc, à extraire ses plus anciennes couches de bois. De plus, certaines espèces ne forment pas automatiquement un nouveau cerne par année. Par exemple, une étude menée par l’écologue forestier Jean-Luc Dupouey a révélé une absence de 33 cernes consécutifs sur un pin sylvestre de 143 ans. Et plus exceptionnellement, un arbre peut en produire plusieurs sur une année.
Mesurer la largeur des couches de bois
Pour repérer ces irrégularités, les scientifiques ont recours à l’interdatation. Cette méthode repose sur la datation précise de chaque cerne de croissance. Au lieu de les compter, les spécialistes mesurent leur largeur. En quoi ce dispositif permet-il de calculer l’âge d’un arbre ? Avant tout, il faut comprendre que l’espace entre deux cernes dépend essentiellement des variations climatiques.
En effet, les dendrochronologues retrouvent des mesures relativement identiques entre des individus d’une même espèce localisés dans des environnements aux conditions atmosphériques similaires. En comparant les mesures non datées avec celles de référence, les scientifiques situent temporellement les cernes de croissance et identifient ceux manquants et excédents. Les résultats obtenus sont fiables à une année près.
La datation au carbone 14
Évaluer la teneur en radiocarbone
Dans certaines circonstances, la datation par dendrochronologie est impossible ! Par exemple, la plupart des arbres tropicaux ne possèdent pas de cernes de croissance annuelle, en raison de l’absence de saisons distinctes. Heureusement, une autre technique a fait ses preuves. Découverte par le chimiste William Libby, la datation au carbone 14 permet également de calculer l’âge d’un tronc.
Cette méthode repose sur la présence du carbone 14, appelé aussi radiocarbone, que l’on retrouve dans tout organisme vivant. En effet, il s’oxyde au contact de l’oxygène présent dans l’atmosphère et forme des molécules de dioxyde de carbone. Celles-ci sont ensuite assimilées par les plantes, à travers la photosynthèse. Après la formation d’un premier cerne de croissance, la teneur en radiocarbone des arbres va diminuer exponentiellement.
Pour cela, les atomes de carbone 14 se désintègrent de leurs propriétés radioactives pour devenir de l’azote non radioactif. Cette période, appelée demi-vie du carbone 14, dure 5 730 ans. Pour connaître l’âge d’un organisme végétal, les scientifiques utilisent soit un spectromètre de masse par accélérateur, soit un détecteur de scintillation. Le premier permet de compter la quantité de carbone 14 présente dans l’échantillon et le second de mesurer sa radioactivité.
Comparer avec des mesures de référence
Comme pour la dendrochronologie, les experts comparent leurs résultats avec des mesures de référence. Une courbe de référence a été établie concernant l’évolution du radiocarbone au sein d’un organisme végétal. Après analyses, les scientifiques sont ainsi capables de déterminer l’âge relatif carbone 14 de l’arbre analysé. Et pour calculer son âge réel, il est nécessaire de considérer les variations en radiocarbone de l’atmosphère, en utilisant une courbe de calibration.
Cette dernière a notamment été réalisée grâce à l’accumulation de nombreuses données atmosphériques et à l’analyse d’échantillons d’air. Pour obtenir des données calibrées, les chercheurs ont mesuré la teneur en carbone 14 présente dans des arbres millénaires, pour lesquels leur âge avait été déterminé par dendrochronologie. La courbe de calibration qui en résulte continue d’être alimentée par de nouvelles données.
Localiser les espèces forestières millénaires
Les pins de Bristlecone : de Prométhée à Mathusalem
Le 6 août 1964, l’arbre le plus vieux du monde est abattu au sud-ouest des États-Unis par Daniel Currey, un étudiant en géographie. Ce pin de Brislecone (Pinus longaeva) était situé au sommet du pic Wheeler dans le Nevada. Il faisait l’objet de recherches sur le petit âge glaciaire. En calculant l’âge des spécimens forestiers millénaires, Currey pouvait dater la fonte des glaciers et reconstituer la dynamique glaciaire de la région.
Le jeune géographe a tenté de prélever deux carottes de bois sur l’ancien conifère mais a échoué. Finalement, le Service forestier américain l’autorise à le couper et lui donne les moyens pour l’abattre. En utilisant la méthode de la dendrochronologie, Daniel Currey comptabilise 4 844 cernes sur l’échantillon. Son interdatation récente révèle que ce spécimen aurait même plus de 4 900 ans.
Renommé Prométhée par une association de conservation de la nature, ce pin de Brislecone serait probablement encore plus âgé. En effet, son tronc était creux au niveau de la souche, faisant disparaître ses plus anciens cernes. Après extrapolations, le plus vieil arbre du monde aurait donc autour de 5 000 ans. Sa naissance remonte à plusieurs siècles avant la construction des pyramides d’Égypte, tandis qu’en Europe, l’homme néolithique Ötzi venait de mourir.
Puisque l’ancêtre végétal a été abattu, qui est son successeur ? Il s’agit d’un individu de la même espèce, nommé Mathusalem, qui aurait plus de 4 850 ans. Ce pin de Bristlecone a été découvert dans les montagnes blanches de la Californie, en 1957. Cependant, sa position exacte n’a jamais été révélée, afin de lui éviter un sort semblable à celui de son aîné.
Les cyprès de Patagonie : l’arrière-grand-père chilien
Ensuite, les cyprès de Patagonie (Fitzroya cupressoides) sont reconnus comme la deuxième espèce végétale longévive, après les pins de Bristlecone. En plus de leur incroyable longévité, les cyprès de Patagonie peuvent atteindre jusqu’à 45 mètres de hauteur. En 1993, le dendrochronologue Antonio Lara le prouve avec la découverte de ce spécimen vert, localisé dans la Cordillère des Andes, au Chili. Son étude révèle la présence de 3 622 cernes de croissance.
Pendant plusieurs années, les scientifiques ont pensé que ce cyprès était le plus âgé encore vivant. Ce n’est peut-être plus le cas. Le journaliste Gabriel Popkin a dévoilé, dans un article publié en mai 2022, la découverte du chercheur Jonathan Barichivich au sein du parc national chilien. En utilisant la dendrochronologie, il aurait trouvé un arbre de plus de 5 400 ans, avec 80 % de probabilité qu’il ait au moins 5 000 ans.
Ce cyprès de Patagonie, nommé Gran Abuelo (arrière-grand-père en espagnol), est peut-être le nouveau record de longévité. Il serait né à la même période que l’invention de l’écriture. Les résultats de Barichivich doivent encore être évalués par des pairs, pour confirmer leur validité. Parmi la communauté scientifique, les avis des experts divergent quant aux conclusions de son étude.
Les séquoias géants : des records d’âge et de taille
Enfin, la troisième place sur le podium de la longévité revient aux séquoias géants (Sequoiadendron giganteum). Comme les cyprès de Patagonie, ils ont une taille surdimensionnée. La cime de ces arbres dépasse souvent 50 mètres de haut. Leur tronc est tout aussi impressionnant, avec un diamètre généralement supérieur à 6 mètres, ce qui fait de cette espèce la plus volumineuse au monde.
D’après Wendell D. Flint, chercheur et écrivain, le séquoia géant le plus ancien, Muir Snag, aurait vécu au moins 3 500 ans. Cet arbre résidait dans le Giant Sequoia National Monument, une zone préservée dans les montagnes de la Sierra Nevada, en Californie, où l’espèce est endémique. Actuellement, le Sequoiadendron giganteum le plus longévif au monde a plus de 3 200 ans. Il n’était encore qu’une jeune pousse, au moment de la guerre de Troie.
Situé dans le même espace protégé que son ancêtre, l’individu a été daté par le père de la dendrochronologie, Andrew E. Douglass. L’étude des cernes de croissance des arbres est le résultat de ses recherches sur la variabilité solaire et ses effets sur le climat terrestre à Flagstaff, en Arizona. Bloqué par le manque de données météorologiques, Douglass estimait que les troncs des pins millénaires de la région auraient conservé des traces de ces variations climatiques.
Finalement, l’analyse d’Andrew Douglass a confirmé un lien entre les largeurs des cernes de croissance et les enregistrements disponibles des précipitations de la même zone. Ses résultats étaient si précis et cohérents, que le scientifique pouvait dater l’abattage des arbres, relié à des épisodes d’exploitation forestière, sans consulter d’autres documents. Pour cela, il a comparé les mesures des couches de bois des troncs coupés, avec la norme établie au cours de son étude.
La longévité des arbres est un exemple de résilience et de capacité à s’adapter à leur environnement. Ils sont les témoins de l’histoire de notre planète et de ses manifestations environnementales.
Comprendre les secrets de longévité des plus vieux arbres du monde
L’environnement propice aux espèces millénaires
Le premier facteur nécessaire à la longévité d’un arbre est d’éviter la concurrence avec les autres espèces, voire avec ses congénères. Pour cela, les individus forestiers vivant le plus longtemps sont généralement localisés dans des environnements plutôt hostiles, où les perturbations humaines et végétales se font plus rares. Par exemple, les pins de Bristelcone poussent sur des montagnes dénuées de végétation rase. Ils s’adaptent aux altitudes élevées et aux températures froides.
Ensuite, les falaises et les ravins représentent un endroit privilégié pour trouver les plus vieux arbres. En effet, ils constituent des espaces éloignés des perturbations végétales, humaines et climatiques. En s’adaptant aux milieux extrêmes, les individus forestiers maximisent leur chance de survie. Comme peu d’espèces végétales sont capables de vivre dans des conditions aussi difficiles, les individus restants ne se font pas de l’ombre. Notamment, leurs racines n’empiètent pas chez le voisin.
Le cyprès de Patagonie, identifié par Jonathan Barichivich, se trouve justement isolé sur une pente, à l’abri des incendies et jusqu’à dernièrement des activités humaines. Autres avantages de l’isolement, la progression des maladies et les attaques des insectes et des champignons se font plus rares lorsque les arbres sont éparpillés. À l’inverse, les forêts tropicales regorgent de vie, et donc, de nombreux dangers.
L’organisme protecteur des anciens conifères
Régénérer ses cellules éternellement
Contrairement à la plupart des organismes, les arbres sont essentiellement composés de cellules mortes, qui constituent le duramen. Cette couche de bois, de couleur plus foncée, contient les plus anciens cernes de croissance de l’individu végétal. Ensuite, l’aubier correspond à la seule partie vivante du tronc. Situé entre le duramen et l’écorce, ce bois vivant est fabriqué par le cambium, une couche de cellules génératrices. Chaque année, elles forment un nouveau cerne de croissance.
Les cellules de cambium se régénèrent pendant des milliers d’années. À l’inverse des autres organismes vivants, elles ne présentent aucun signe de vieillissement. Le dendrochronologue Peter M. Brown considère donc que les arbres ne meurent pas de vieillesse, mais un événement perturbateur doit leur arriver pour qu’ils dépérissent. Actuellement, aucune preuve scientifique ne le confirme.
Développer des mécanismes de défense
Les espèces végétales les plus vieilles au monde ont une croissance très lente. Avec moins de menaces à proximité, ces conifères peuvent économiser leurs forces et investir dans des mécanismes de défense. En poussant aussi lentement, le bois des pins de Bristelcone et des séquoias géants se densifie, ce qui empêche les insectes et les bactéries d’y pénétrer. L’écorce du Sequoiadendron giganteum est si épaisse, qu’elle lui permet même de résister au feu.
De plus, les vieux arbres font preuve de résilience. Par exemple, le Pinus longaeva peut surmonter des événements stressants, tels que l’affaissement de son tronc ou la dégradation de ses racines. Face à ces perturbations, les individus forestiers ne meurent pas, mais seulement la partie de leur organisme soumise au stress. Ces espèces végétales millénaires se sont adaptées à des conditions de vie extrêmes pour survivre. Avec l’accélération du changement climatique, les scientifiques questionnent leur résilience face à la multiplication de sévères perturbations comme la hausse des températures, la diminution de la pluviométrie, etc.
Les pins de Bristlecone, les cyprès de Patagonie et les séquoias géants constituent les trois espèces présentant les plus vieux arbres au monde. L’analyse des cernes de croissance et de la présence du carbone 14 de ces espèces végétales nous donne l’opportunité de nous plonger dans les derniers milliers d’années d’histoire environnementale. D’autres éléments naturels nous offrent de précieux témoignages sur notre passé, comme les variations climatiques racontées par les glaces de l’Antarctique.