Depuis 2011, les plages antillaises sont régulièrement envahies par des algues sargasses. En Guadeloupe, en Martinique et à Saint-Martin, ces algues brunes prolifèrent et rendent impossibles la nage, les promenades sur la plage ou la sortie des canots de pêche, et ce, durant plusieurs jours dans l’année. Des études tentent de comprendre d’où vient ce phénomène et quels en sont les risques pour l’homme. Découvrez comment les algues sargasses arrivent sur les côtes atlantiques de la Caraïbe, les dangers qu’elles représentent et si l’on peut les transformer dans une démarche de développement durable.
Comprendre le phénomène des sargasses aux Antilles
Il y a environ 9000 espèces de grandes algues (macroalgue). Celles qui se retrouvent aux Antilles appartiennent à la famille des Sargassum fluitans et Sargassum natans. Il s’agit d’algues pélagiques, c’est-à-dire qu’elles flottent à la surface de l’eau.
D’où viennent-elles ?
Longtemps, les scientifiques pensaient qu’elles trouvaient leur origine de la mer des Sargasses, zone située à l’est des Bahamas dans l’océan Atlantique Nord. Il existe une forte accumulation d’algues sargasses à la surface de l’eau dans ce secteur, d’où l’appellation de cette mer. Mais les dernières études démontrent qu’elles se forment à proximité des côtes brésiliennes. Elles sont portées par un courant marin circulaire qui se forme au niveau de la région de recirculation nord équatoriale. Cette zone se trouve entre les côtes du Brésil et le golfe de Guinée.
Quelles sont les causes de cette invasion ?
Selon l’évolution des algues et des mouvements maritimes dans la région de recirculation nord équatorial, les Antilles subissent l’arrivée d’un très grand nombre de sargasses dans leurs domaines maritimes de manière aléatoire. En 2017, l’Institut de Recherche et de Développement (IRD) a coordonné une analyse scientifique. Les premiers résultats démontrent que la déforestation, l’augmentation des températures des eaux océaniques dues au réchauffement climatique favorisent la croissance et la circulation des algues sargasses.
Les algues sargasses aux Antilles : des impacts inquiétants
Quand ils sont en pleine mer, les bancs de sargasses ne représentent aucun danger. Au contraire, ils forment une nurserie pour de nombreuses espèces marines et contribuent à leurs sauvegardes. Des poissons, des tortues, des invertébrés viennent s’abriter sous des radeaux de sargasses provisoirement ou définitivement. Le risque pour la faune, la flore ou pour l’homme apparaît lorsqu’ils échouent sur les plages et restent au sec.
Les impacts pour l’homme
Une fois échouées sur les littoraux, les matières organiques se décomposent au bout de quarante-huit heures. Les algues produisent alors de multiples quantités de gaz toxiques comme le sulfure d’hydrogène et de l’ammoniaque. Selon le Ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires, inhaler le sulfure d’hydrogène durant plusieurs heures représente un risque pour la santé humaine. En Martinique, en Guadeloupe et même en Guyane, les habitants des villes situées au plus près des côtes se plaignent de maux de tête, de malaises et de troubles respiratoires à chaque épisode d’échouage. En 2017, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) publiait un avis relatif aux expositions et aux émanations gazeuses d’algues sargasses recommandant la mise en place de mesures de prévention.
De plus, les marins-pêcheurs de ces îles voient leurs bateaux immobilisés pendant plusieurs jours lors de ces évènements, perdant ainsi des milliers d’euros. Le tourisme aussi est fortement impacté. En effet, l’odeur d’œufs pourris qui proviennent de ces algues en décomposition fait fuir les visiteurs.
Les impacts pour l’environnement
Les algues présentes en grande quantité sur les plages nuisent à certaines espèces. Les petits animaux de sables ne peuvent plus circuler correctement. La faune au bord de la mer, accrochée aux sargasses, peut se retirer en même temps que les algues qui repartent avec la houle. Les tapis formés par l’amoncellement des sargassums sur le rivage empêchent la lumière du soleil d’atteindre les fonds marins. Ce manque de luminosité peut avoir des conséquences sur le développement des coraux et d’autres espèces.
Un autre effet est reconnu officiellement depuis peu par la communauté scientifique après plusieurs signalements de la population : la perte de biens électroniques. En effet, à chaque nouvel épisode d’échouage massif, les habitants à proximité des plages se plaignent de voir leurs équipements détériorés voire hors d’usage, les obligeant à jeter leur matériel et à en racheter de nouveau. L’enquête CORSAIR menée par des universitaires et financée par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) a prouvé en 2022 que les gaz dégagés par les algues en décomposition ont un lien avec la corrosion des appareils électroménagers, des métaux et même du plastique.
Différentes études sont encore en cours afin de mieux connaître l’impact environnemental et sanitaire que génèrent ces arrivées massives d’algues sargasses.
En se décomposant sur les plages, les algues sargasses deviennent néfastes pour l’homme.
Les algues sargasses : fléau ou opportunités ?
Les algues sargasses représentent un fléau pour les êtres humains qui résident près des côtes, mais apportent également sécurité et abri pour des espèces sous-marines. Il existe des solutions afin que l’homme et l’environnement en tirent un bénéfice.
Des solutions pour s’en débarrasser
Suite à différents appels à projets lancés par les collectivités des îles antillaises, des innovations technologiques sont apparues ces dernières années. En 2014, l’entreprise Soudure Tuyauterie Maintenance Industrielle (STMI) a créé le Sargator, un bateau équipé d’un tapis qui peut collecter jusqu’à douze tonnes d’algues en mer, au bord des quais, des marinas et des rivages. Un modèle plus performant arrivera cinq ans plus tard.
La Scarbat, un autre exemple de machine, ramasse les algues sur la plage tout en retournant le sable. Un système lui permet de faire le tri entre les différentes espèces d’algues non nocives et les sargasses.
Diverses machines existent pour enlever les algues ou empêcher leur échouage, mais tous ces appareils ont un coût très élevé et nécessitent des frais d’entretien que les collectivités locales ne peuvent assumer.
Des solutions pour les recycler
En Martinique, une entreprise expérimente la transformation des sargasses en fertilisant. Par un procédé tenu secret, elle se débarrasse des métaux lourds naturellement présents dans les algues avant de les recycler. 30 000 tonnes d’algues seraient ainsi récupérées chaque année.
Des habitants du Mexique prennent des initiatives en matière de recyclage des algues brunes. Certains les utilisent comme engrais, d’autres comme briques pour construire des maisons ou encore les convertissent en semelles pour chaussures.
Une société bretonne renouvelle les sargasses propres et non salées (après traitement) en plastique végétal pour la fabrication de gobelets, mugs, etc. Balai-brosse pour toilettes, compost, engrais, transformation en charbon actif qui supprime le chlordécone (pesticide utilisé durant des décennies aux Antilles qui a pollué les sols et les eaux), sont autant de projets en cours d’étude. Faute de financement, certains abandonnent leurs idées.
Si les algues sargasses représentent un fléau pour certains, ils peuvent se révéler comme une opportunité pour des investisseurs. Les risques pour la santé humaine sont reconnus ainsi que les dégâts provoqués par l’émanation des gaz des algues en état de décomposition. Aujourd’hui, les algues brunes représentent un véritable enjeu économique et sanitaire pour les régions des Antilles. Les différents appels à projets et la recherche contribuent à la connaissance de plus en plus poussée de ce phénomène de prolifération des algues qui a encore des secrets à dévoiler.