Entre l’État d’Israël, les Territoires palestiniens et la Jordanie se déploie la mer Morte. Entourée par les collines de Judée et de Moab, elle mesure 18 km de large sur 67 km de long, mais cela n’a pas toujours été le cas. Du début de sa formation jusqu’à nos jours, ce lac d’eau salée a beaucoup changé et continue à évoluer. Véritable curiosité géologique constituée d’un écosystème unique, zoom sur cette petite mer intérieure.
La formation de la mer Morte
On l’appelle mer Morte, mer Salée, mer de Loth et de bien d’autres noms encore, pourtant il s’agit en réalité d’un lac d’eau salée. L’explication est à chercher du côté de sa formation.
Il y a plus de 20 millions d’années, sous l’activité de la tectonique des plaques, apparaît la faille du Levant. Le détachement de la plaque arabique de la plaque africaine est à l’origine de cette faille transformante, similaire à celle de San Andreas aux États-Unis. Les mouvements latéraux des plaques ont entraîné l’affaissement des terrains de la région. Il s’est ensuite formé une vaste dépression, qui s’étend aujourd’hui du golfe d’Aqaba à la Turquie, et dans laquelle s’est installée cette petite mer intérieure.
Pour comprendre comment le lac salé est apparu dans cette dépression, il faut remonter aux débuts du Quaternaire. Au cours de cette ère géologique, divers bouleversements climatiques ont perturbé le niveau de la mer Méditerranée. Ses eaux sont montées de plusieurs dizaines de mètres et sont venues inonder le fossé jordanien. Puis, suite à une baisse significative des températures, l’eau de la mer Méditerranée s’est retirée. Toutefois, une partie s’est retrouvée piégée dans la vallée du Jourdain, laissant place à plusieurs étendues d’eau. Au fil du temps, son niveau s’est progressivement abaissé jusqu’à finir par former deux lacs distincts. Au nord le lac Tibériade et au sud la mer Morte, tous deux reliées par le Jourdain. Elle établit aujourd’hui une frontière naturelle entre Israël et la Jordanie.
Qu’est-ce qui fait de ce plan d’eau salé un endroit si singulier ?
L’un des plans d’eau les plus salés sur Terre
Sa forte teneur en sodium lui vaut d’être l’un des plans d’eau les plus salés au monde. En effet, il contient environ 275 grammes de sel par litre d’eau, soit dix fois plus que dans les océans. Cette importante salinité lui confère une très grande densité, c’est pourquoi il est possible d’y flotter sans le moindre effort.
Mais d’où vient tout ce sel ? Il provient des sels minéraux que les eaux de ruissellement viennent arracher à la roche et qui se déversent ensuite dans la mer Morte. À l’intérieur de cette petite mer, le sel ne peut s’écouler et finit par stagner. Ce phénomène est accentué par la sécheresse environnante. Dans cette région semi-aride, l’eau du lac s’évapore rapidement laissant place à des croûtes de sel.
Cette concentration élevée, principalement en calcium et magnésium, limite l’apparition de la vie marine. Ni poissons ni algues, seuls quelques micro-organismes ont la possibilité de se développer dans ce milieu hostile, d’où son nom de « mer de la mort ».
Malgré cet environnement inhospitalier, les nombreux minéraux contenus dans cette dépression d’eau salée (on en dénombre une vingtaine) sont bénéfiques pour la peau. Ils constituent un véritable soin pour les personnes souhaitant guérir de maladies cutanées. Il en va de même de la boue noire que l’on trouve le long de ses rivages.
Le point émergé le plus bas au monde
Nombreux sont les visiteurs qui souhaitent bénéficier des effets curatifs du lac salé tout en flottant dans ces eaux. Mais là ne sont pas ses seules particularités. Situé à 420 mètres en dessous du niveau de la mer, le plan d’eau salé est considéré comme le point émergé le plus bas sur Terre.
L’évaporation naturelle de la mer Morte, le pompage de ses eaux et la surexploitation du fleuve Jourdain par Israël et la Jordanie sont à l’origine de l’assèchement progressif de ce lac salé.
Si se baigner dans cette dépression d’eau salée se révèle être une expérience unique au monde, il est néanmoins essentiel de respecter quelques consignes de sécurité. Il est important de ne pas mettre la tête sous l’eau et d’éviter les éclaboussures au risque de se brûler les yeux. Il faut faire attention à ne pas ingérer son eau qui peut conduire à l’asphyxie. Il est également recommandé de ne pas rester dans le lac salé plus de 10 à 15 minutes et de se rincer ensuite à l’eau douce.
L’évaporation naturelle de la mer Morte, le pompage de ses eaux et la surexploitation du fleuve Jourdain par Israël et la Jordanie sont à l’origine de l’assèchement progressif de ce lac salé.
La mer de sel recule un peu plus chaque jour
Depuis les années 1960, la mer Morte régresse. Les terres blanchies par le sel illustrent clairement le retrait de l’eau. C’est ce qu’on appelle des concrétions de sel, c’est-à-dire des cristaux agglomérés. Les géologues affirment qu’elle a déjà perdu près d’un tiers de sa surface et que chaque année elle continue à baisser d’un peu plus d’un mètre. La cause première est l’évaporation naturelle du lac salé.
Autre responsable du recul du lac : la surexploitation du fleuve Jourdain. Principalement alimenté par l’eau douce du fleuve, il ne permet plus un approvisionnement suffisant de la mer de sel. Effectivement, afin d’irriguer les terres agricoles, de nombreux barrages ont vu le jour sur les affluents du Jourdain. Au début des années 50, Israël a décidé d’édifier un barrage sur le lac Tibériade et de construire un canal pour irriguer le désert du Néguev. Ces prélèvements intensifs mis en place du côté israélien, mais aussi jordanien, provoquent le déclin du plan d’eau salé qui ne reçoit plus que 10 % du débit d’autrefois. Frédéric Maurel, ingénieur expert de l’Agence française de développement (AFD), explique que le débit du Jourdain est actuellement à moins de 200 millions de mètres cubes par an alors qu’il était de 1,2 milliard en 1950.
À cela s’ajoute un dernier facteur, celui de l’exploitation intensive du sel. En effet, l’industrie de l’extraction de minerais participe, elle aussi, activement à la régression de la mer Morte. Au sud du lac se trouvent des bassins d’évaporation grâce auxquels les usines exploitent le sel et récupèrent, entre autres, la potasse et la saumure. Le sel du salar d’Uyuni, en Bolivie, est quant à lui principalement utilisé pour le lithium dont il constitue la plus grande réserve sur la planète.
Le sauvetage de la mer Morte
Dans les années 80, du fait de l’assèchement du lac, le sol s’est par endroit effondré, laissant place à de petites dépressions circulaires à fond plat, appelées dolines. Elles se forment par la combinaison de plusieurs facteurs. Tout d’abord, le sel du lac s’engouffre entre les sédiments du sol. Ensuite, une partie de l’eau salée se retire en raison de la baisse généralisée du niveau du lac. Exposés à l’air libre, les sédiments asséchés des abords du lac sont lessivés par de l’eau douce issue des précipitations. L’eau ruisselle et s’infiltre dans le sol et vient dissoudre le sel solidifié entre les sédiments. Ainsi fragilisé, le terrain peut s’affaisser à tout moment. Des dolines de plusieurs mètres de profondeur et de largeur peuvent alors se former. Leur formation s’est multipliée dans la région au cours des vingt dernières années. Les dolines représentent un véritable danger pour la population et les alentours du lac sont devenus, par endroits, des zones sinistrées.
C’est vers 1980 que l’opinion publique commença à prendre conscience du déclin de la petite mer intérieure. Les premiers mètres d’un canal reliant la mer Méditerranée à la mer Morte et ayant pour but d’alimenter le lac salé débutèrent. Cependant, le projet fut abandonné en 1985.
Face au recul inexorable de cette dépression d’eau salée et aux risques engendrés par les effondrements de cavités souterraines, un nouveau plan de sauvetage fut initié entre Israël, la Jordanie et les Territoires palestiniens. Ce projet tripartite signé en décembre 2013 prévoyait la création d’un aqueduc qui viendrait puiser l’eau de la mer Rouge pour la transférer ensuite dans la dépression d’eau salée. Néanmoins, plusieurs organisations environnementales évoquèrent notamment la zone sismique sur laquelle devait passer le canal, une insuffisance de l’apport en eau ainsi qu’une modification de la composition de la mer Morte. Finalement, en juin 2021, la Jordanie décide de se retirer du projet.
Si rien n’est fait pour préserver la mer Morte, certains scientifiques prévoient sa disparition d’ici 2050. L’avenir de ce site naturel est plus que menacé. Afin d’éviter que ce plan d’eau salé ne se transforme en un désert de sel, il est nécessaire d’agir.