Aux États-Unis, au nord-est du Wyoming, le National Park Service abrite une curiosité géologique aux proportions remarquables : la Devils Tower, littéralement la « tour du diable ». Premier monument national inauguré aux USA en 1906, ce monolithe de plus de 200 mètres de haut est composé de longues colonnes hexagonales aux formes épurées. Zoom sur cette formation rocheuse dont les origines restent un mystère.
Devils Tower : une roche d’origine magmatique
La Devils Tower surplombe les prairies, les marais et les forêts de pins du massif montagneux des Blacks Hills, non loin du célèbre Mont Rushmore et à proximité immédiate de la rivière Belle Fourche. Elle n’est pas pour autant l’œuvre du diable. On se demande néanmoins comment un tel rocher a pu se retrouver planté au milieu de ce décor.
Les géologues étudient Devils Tower depuis 1875 et s’accordent sur le fait que cette formation résulte d’une poussée de lave solidifiée enfouie sous la surface de la Terre. Il y a environ 50 à 60 millions d’années, au cours de l’ère tertiaire, les pressions tectoniques dans l’ouest de l’Amérique du Nord ont atteint leur apogée, soulevant les montagnes Rocheuses et les Black Hills. À ce moment ou peu de temps après, du magma (roche en fusion) s’est frayé un chemin dans les couches sédimentaires sous la surface ou à l’intérieur d’une cheminée dans les profondeurs d’un volcan.
Les avis scientifiques divergent sur le processus par lesquels le magma s’est refroidi pour prendre cette forme et sur sa relation avec la géologie régionale.
Plusieurs théories tentent d’expliquer la formation du monolithe.
Pour certains géologues, Devils Tower résulte d’un stock (figure 1) ou d’une laccolithe (figure 2). Ces deux formations sont une intrusion ignée qui s’est formée lorsque le magma s’est refroidi avant d’atteindre la surface de la terre. La première dessine une forme irrégulière (dit isodiamétrique) alors que la seconde prend la forme d’une cloche ou d’un champignon. Prise sous un ensemble de roches sédimentaires, l’érosion des roches plus fragiles a peu à peu dégagé le rocher demeuré seul au milieu de la plaine.
D’autres supposent que Devils Tower émane d’un bouchon volcanique. La tour serait une intrusion ignée en forme de cylindre faisant partie d’un volcan. Le tuyau alimentant le volcan s’est bouché lorsque le magma s’est solidifié sous terre (figure 3).
En 2015, le géologue Prokop Závada et ses collègues ont comparé la tour du diable à une formation de butte similaire en République tchèque. Leur hypothèse suggère qu’elle vient d’un volcan de type maar-diatrème (figure 4). Ceux-ci naissent lorsque le magma rencontre les eaux souterraines sous la surface de la Terre. L’eau surchauffée se transforme en vapeur qui se dilate de manière explosive et crée un cratère à la surface. Le cratère se remplit de lave qui refroidit et se solidifie formant une structure en dôme. L’érosion a ensuite sapé des parties du dôme pour laisser apparaitre la tour telle que nous la voyons aujourd’hui.
L’état actuel des connaissances ne permet pas de trancher pour l’une ou l’autre de ces quatre hypothèses.
Les gigantesques orgues volcaniques de Devils Tower : une particularité géologique
Les prismes qui composent le contour du rocher sont issus d’un phénomène appelé jonction colonnaire ou orgues volcaniques. Ce sont des formations de magma qui, en refroidissant, accumulent du stress jusqu’au moment où ils se fissurent, ce qui donne naissance à ses prismes qui prennent cette forme de colonnes hexagonales compactes, rappelant les tuyaux de l’instrument à vent dont elles tirent leur nom. Plus le refroidissement est lent et constant, plus les prismes sont réguliers.
On retrouve ces jointures colonnaires de type basaltique dans plusieurs endroits du monde, comme la Chaussée des géants en Irlande du Nord. Sur ces sites géologiques, les colonnes peuvent mesurer de quelques centimètres à trois mètres de diamètre et peuvent atteindre 30 mètres de haut.
La roche de la tour du diable est de type phonolithe, riche en potassium et sodium. Il s’agit d’une roche magmatique volcanique qui tire son nom du son aigu qu’elle produit lorsqu’on frappe dessus avec un marteau. La lave qui a formé la roche a une teneur moyenne en silice. Les orgues phonolithiques de la tour du diable sont de taille inégalée. Les colonnes, situées à 265 mètres de hauteur, offrent un terrain de jeu extraordinaire aux férus d’escalade.
La Devils Tower (la Tour du Diable) est l’exemple le plus grand et le plus spectaculaire d’orgues volcaniques au monde.
L’érosion de la tour
L’érosion a radicalement modifié le paysage environnant. Lorsque la tour s’est formée, il y a environ 50 millions d’années, elle se trouvait à plus de 2 km sous la surface de la Terre. Puis, il y a entre 5 et 10 millions d’années, des forces érosives ont commencé à exposer la tour. Ces forces, en particulier celle de l’eau, ont emporté les sédiments au-dessus et autour du monolithe. Les colonnes grises de la Devils Tower ont commencé à émerger au-dessus des plaines alentour.
Devils Tower s’érode aussi lentement, mais la roche ignée qui la compose est plus résistante à ce phénomène. Au pied de la tour, on peut observer les empreintes des changements qu’elle a subi tout au long de son histoire géologique. Des roches massives, dont certaines mesurent la taille d’un bus, dessinent un champ de 5 hectares. Principalement situé autour des faces ouest et sud du monument, ce champ de roches géantes s’est formé au fur et à mesure que des fragments de la tour se détachaient. Cependant, bien que de petites roches tombent régulièrement de la tour, l’histoire récente n’a enregistré aucune chute de colonne.
Les théories décrivant la formation de la tour s’accordent sur le concept d’érosion de ce monument. Ironiquement, ce phénomène naturel d’érosion a effacé les preuves nécessaires pour déterminer quelle théorie de la formation de Devils Tower est la plus probable.
La géologie de Devils Tower garde donc une part de mystère, tant pour les visiteurs occasionnels que pour les scientifiques. Loin de l’approche scientifique, la légende indienne raconte que le rocher fut griffé par des ours qui tentaient d’attraper 7 jeunes filles réfugiées dessus. Le grand esprit fit grandir le rocher et les plantigrades rayèrent les parois en glissant. Ainsi naquit, pour les Indiens, ce lieu sacré qu’ils nomment, non pas la « tour du diable », mais « la maison de l’ours ».