Sur le continent Nord Américain, le parc national des Everglades en Floride est la plus grande réserve de nature sauvage subtropicale. Il s’étend sur 6 106 km2, à l’extrémité sud de l’Etat de Floride. Le parc couvre 25% de la région des Everglades et se distingue par une incroyable diversité de paysages : marécages, mangroves, herbiers marins, forêts subtropicales, etc. Everglades signifie « marais éternels », comme un lieu immuable traversant les siècles. C’est un véritable refuge pour une faune rare, allant des alligators aux panthères de Floride, en passant par les échassiers et les lamantins. Pourtant, cette réserve de biodiversité est aujourd’hui menacée par les interventions humaines et le dérèglement climatique. Comment fonctionne cet écosystème unique au monde ? Et surtout, quels efforts sont entrepris pour le préserver ? Zoom sur cet écosystème aquatique fragile et unique au monde inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Le parc national des Everglades en Floride : un écosystème unique et complexe
La rencontre entre l’eau et la terre
Le climat subtropical des Everglades alterne saison sèche, de décembre à avril, et saison humide, de mai à novembre.
Ce lieu offre une grande diversité de paysages, ce qui contribue à son caractère unique.
Le panorama le plus caractéristique est le marécage. Ce sont ces zones humides, envahies de plantes aquatiques, qui ont valu aux Everglades le surnom de « Rivière d’herbes » (River of Grass). Lors de la saison sèche, les cours d’eau s’assèchent pour laisser à l’air libre de grandes étendues de végétation. Durant la saison humide, les eaux des marécages des Everglades sont alimentées par les précipitations et le lac Okeechobee, situé au cœur de la Floride. Ces cours d’eau s’étirent sur 160 km de long et 80 km de large, tout en conservant une faible profondeur. Leur écoulement est particulièrement lent (moins de trente mètres par jour) avant de rejoindre la baie de Floride, où l’eau douce vient se mêler aux eaux salées de l’océan.
Les mangroves et herbiers marins
La baie de Floride occupe un tiers du parc, à l’extrême sud, et recèle l’une des plus grandes aires de mangrove du monde.
Les palétuviers sont les arbres caractéristiques de la mangrove, reconnaissables à leurs racines aériennes. Ils se sont adaptés à leur environnement hostile et participent aujourd’hui à protéger la Floride des assauts climatiques. Ces arbres robustes résistent aux vents violents des ouragans, absorbent les inondations et contribuent à stabiliser les zones côtières en empêchant leur érosion.
Les mangroves sont le lieu de vie de centaines d’espèces d’animaux : poissons, oiseaux, reptiles et mammifères y construisent leur nid et élèvent leurs petits. D’autres viennent simplement en visite lors des marées hautes, comme les requins-citron ou les limules. Ils repartent vers la mer lors des marées descendantes.
La baie abrite également l’un des plus grands herbiers marins documentés du monde. Les eaux peu profondes le long des côtes permettent aux plantes à fleurs de capter la lumière et de former ainsi de véritables prairies sous-marines. L’ensemble du cycle de vie de ces fleurs se réalise sous l’eau, y compris la pollinisation.
Les mangroves et herbiers marins jouent un rôle essentiel dans la lutte contre le réchauffement climatique. Ces « écosystèmes de carbone bleu » absorbent naturellement le dioxyde de carbone et le garde prisonnier. La protection de ces puits de carbone est donc primordiale. Le rapport de l’UNESCO de 2021, « Gardiens des réserves de carbone bleu », met en lumière une menace majeure : en cas de destruction ou de dégradation, ces écosystèmes libéreraient des milliards de tonnes de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, amplifiant les effets du changement climatique.
La richesse des Everglades tient beaucoup à son écosystème varié, où les étendus d’eau côtoient des espaces de végétations terrestres.
Parmi ces paysages emblématiques, les hammocks se distinguent : ces îlots de terre ferme, en forme de larmes, se comptent par millier au sein du parc. Légèrement surélevés, à seulement quelques dizaines de centimètres au-dessus du niveau de la rivière, ils constituent un refuge pour la végétation. Les arbres, principalement des chênes, peuvent ainsi s’y épanouir à l’abri des fluctuations de l’eau.
Au sein du parc national des Everglades, les chênes des hammocks côtoient les pins des pinèdes et les cyprès. Ces forêts de conifères sont un abri privilégié pour de nombreuses espèces animales, dont de nombreux oiseaux comme le pygargue à tête blanche et la chouette rayée. Elles abritent également des prédateurs comme les alligators et la panthère de Floride, une espèce aujourd’hui menacée d’extinction.
La faune des Everglades : diversité et menace
L’oiseau et l’alligator : entre prédation et symbiose
Le parc national des Everglades en Floride abrite une faune très diversifiée grâce à la variété de ses habitats.
Il constitue le premier site de nidifications des oiseaux de rivage en Amérique du Nord, avec plus de 400 espèces aviaires qui viennent s’y reproduire. Cette faune aviaire a d’ailleurs contribué à la renommée du parc, au dépend des bêtes à plumes. Jusqu’au début du XXe siècle, les aigrettes ont été chassées pour leurs plumes ornementales, prisées des chapeliers. Les colonies ont pu se reconstituer grâce à la protection offerte par le parc national créé en 1934.
Les aigrettes font partie de la famille des échassiers, comme le héron. Ces oiseaux prospèrent dans ce milieu aquatique grâce à leurs longues pattes caractéristiques. Ils ont même la particularité de s’associer aux alligators pour protéger leurs nids. Une étude de 2016, menée dans les Everglades par le chercheur Lucas Nell, a révélé que les échassiers privilégient les zones de nidification proches des alligators. Ces derniers jouent un rôle protecteur en éloignant les prédateurs tels que les ratons laveurs et les opossums, qui pourraient s’attaquer aux œufs ou aux oisillons. En contrepartie, les alligators s’alimentent des oisillons tombés du nid. Le groupe de scientifiques a constaté que ces alligators vivant près des colonies d’oiseaux pesaient environ trois kilogrammes de plus que leurs congénères. Cet échange positif, où une espèce améliore l’habitat d’une autre espèce proche, s’appelle la facilitation écologique.
Les alligators ne sont pas que de bons samaritains et peuvent se montrer rusés face à leurs voisins à plumes. En plaçant des brindilles sur leur museau et en nageant ainsi à travers les eaux des marécages, ils attirent les oiseaux qui cherchent ces morceaux de bois pour construire leurs nids. Cette technique de chasse n’a pour l’instant été observée que dans les Everglades.
Les alligators, eux aussi, travaillent dur pour se construire un nid douillet au sein du parc et préparer la saison sèche. Les femelles alligators creusent des étangs protégés par les dômes de cyprès. La décomposition des aiguilles de conifères libère des acides et creuse ces points d’eau. Lorsque la rivière, ces trous d’alligators restent en eau et de nombreuses espèces du parc viennent s’y réfugier. Ces points d’eau sont indispensables à l’équilibre du biotope du parc national des Everglades. Le reptile occupe donc un rôle important pour l’écosystème de ce site naturel, surnommé « le royaume des alligators ».
Dans le parc national des Everglades en Floride, les espèces animales s’entraident dans un équilibre naturel aussi fragile que fascinant. Ce site naturel vit au rythme des saisons et de ses eaux lentes, moteur d’un écosystème millénaire aujourd’hui menacé par l’homme et le dérèglement climatique.
Un sanctuaire pour des animaux en danger
Les Everglades constituent un refuge pour de nombreuses espèces menacées d’extinction.
L’habitat de la panthère de Floride comprend principalement des pinèdes, des hammocks et des marais d’eau douce. C’est pourquoi le parc national des Everglades est un endroit privilégié par cette sous-espèce de puma. Mais le territoire de ce félin s’étendait autrefois sur une grande partie du sud-ouest des Etats-Unis. Victime de la chasse, il ne restait plus qu’une trentaine d’individus dans les années 70. L’extinction de l’espèce était proche et la consanguinité ne permettait pas à la population restante de se reproduire de façon viable. Dans les années 90, des scientifiques ont relâché dans la région des pumas du Texas pour réintroduire une diversité génétique et sauver l’espèce.
On compte aujourd’hui environ 200 individus. Malgré les efforts de conservation, l’avenir des panthères de Floride reste incertain. Elles sont particulièrement menacées par l’expansion urbaine, qui fragmente leur habitat naturel. Chaque année, environ 25 panthères périssent après avoir été percutées par des voitures.
Une autre espèce rare évolue au sein des Everglades. Le lamantin des Caraïbes se réfugie dans les eaux chaudes de la baie de Floride pour donner naissance à ses petits et les élever à l’abri des prédateurs. Ce mammifère peut vivre dans les eaux salées mais reste toujours à proximité de sources d’eau douce, indispensable à sa survie. Il aime brouter les herbes marines, ce qui lui vaut le surnom de « vache des mers ». Cette espèce est aujourd’hui classée « vulnérable » sur la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). L’augmentation de l’activité humaine détruit leur habitat et les collisions avec les bateaux sont la première cause de mortalité des lamantins en Floride.
La présence humaine dans les Everglades : entre destruction et protection
Histoire des interactions humaines avec les Everglades
Les tribus amérindiennes Calusa sont les plus anciens habitants à avoir laissé trace de leur passage dans cette région, bien avant la colonisation européenne au XVIe siècle. Et c’est à partir de 1905 que la présence humaine a commencé à impacter les écosystèmes. Drainage des eaux des Everglades, destruction des mangroves, industrie du bois, culture de canne à sucre, chasse : les agressions sont multiples, au nom du développement urbain, agricole et commercial.
Le détournement de l’eau reste toujours une grande menace pour les Everglades. Malgré d’importantes précipitations dans le sud de la Floride, l’eau reste insuffisante pour subvenir aux besoins naturels et humains. L’agriculture intensive, dont les cultures encerclent le parc, accentue cette pression sur les ressources en eau. Les eaux des Everglades sont drainées pour alimenter les six millions d’habitants de l’aire urbaine de Miami.
L’autre danger grandissant pour les écosystèmes du parc sont l’introduction d’espèces exotiques. Le plus gros prédateur des Everglades aujourd’hui est le python birman. Originaire d’Asie du Sud, ce reptile a été lâché illégalement en Floride. Il est aujourd’hui responsable de la disparition de 90% des mammifères locaux.
Protection et restauration des Everglades
Les Floridiens ont pris conscience de la nécessité de protéger ces espaces naturels. Le parc national des Everglades en Floride a été créé le 30 mai 1934. Il couvre environ 25% de la région des Everglades. L’objectif de création d’un parc national aux Etats-Unis est de préserver les espaces naturels pour les transmettre intacts aux générations futures. Pourtant, il faudra attendre les années 70 pour que de véritables mesures soient prises pour limiter l’exploitation des terres et des étendues d’eau au sein des Everglades. Les autorités ont d’abord pris des mesures pour s’assurer que le parc reçoive une quantité d’eau nécessaire. Puis dans les années 90, les projets de barrages et de construction de canaux ont été stoppés pour se consacrer uniquement à des projets environnementaux.
Des mesures de restauration ont également été adoptées ces dernières décennies. Le Comprehensive Everglades Restoration Plan (CERP) a été proclamé le 11 décembre 2000 pour « restaurer, préserver et protéger l’écosystème du Sud de la Floride ». Le plan s’étend sur plus de 35 ans, avec un coût supérieur à 10,5 milliards de dollars, ce qui en fait le plus grand projet de restauration hydraulique jamais entrepris aux Etats-Unis. Malgré ces mesures, en 2008, le Conseil national de recherche des Etats-Unis a rendu un rapport sur le CERP indiquant que la restauration des écosystèmes des Everglades était entravée par des questions de budget, de planification et de procédures. Faute de considération prioritaire de la part du gouvernement, les financements restent limités, tandis que la bureaucratie ralentit considérablement la prise de décision. Suite à la publication de ce rapport, un nouveau budget a été alloué à la restauration des Everglades dès l’année suivante.
Le Conseil national de recherche publie un rapport biennal sur les progrès de restauration des Everglades. Celui de 2024 note des avancements encourageants tout en rappelant la nécessité de maintenir les efforts. Il recommande notamment l’utilisation d’outils anticipant les effets du changement climatique afin d’adapter les projets et garantir ainsi la poursuite des progrès en matière de restauration.
Au niveau mondial, l’UNESCO a déclaré le parc comme zone de biosphère internationale le 26 octobre 1976 et l’a classé au patrimoine mondial de l’UNESCO trois ans plus tard, le 24 octobre 1979.
Marjory Stoneman Douglas, autrice et reportrice, a été une fervente défenseuse de la région des Everglades, ce qui lui a valu le surnom de « Grande Dame des Everglades ». Elle a mené des recherches sur l’écologie et l’histoire de la région pendant cinq ans, avant de publier en 1947 « The Everglades : The river of Grass ». Par cet ouvrage, elle avait pour objectif de sensibiliser à la protection de cette région. La première ligne du livre donne le ton : « Il n’y a pas d’autres Everglades dans le monde ».
Malgré tous ces efforts de conservation, le parc national des Everglades en Floride est inscrit aujourd’hui sur la liste du patrimoine mondial en péril de l’UNESCO.